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fables de Deucalion, d’Hercule, de Jason, de Mercure Criophore, des motifs déjà connus d’agencement et de dessin.

Pour les attitudes et les accessoires, elle ne s’écarte pas des modèles convenus que les décorateurs avaient pour ainsi dire dans la main. Lorsqu’il faut décidément inventer, et que l’image doit être exclusivement chrétienne, l’embarras est visible. On s’aperçoit que le temps n’est point passé où une religion enseignée par des pauvres et des ignorans, au nom d’un Dieu frappé de toutes les misères humaines, repoussait avec scrupule ou dédain l’idée de parler aux sens et d’éblouir par le dehors. Ainsi, prenant à la lettre un verset d’Isaïe, on allait jusqu’à vouloir que le Messie fût sans beauté et sans éclat, puisqu’il n’avait rien qui attirât l’œil[1]. Qu’importait d’ailleurs son image ? Il se peignait dans sa parole.

Cette indifférence aux choses extérieures ne pouvait être ni populaire ni durable. Des générations formées par la Grèce ne pouvaient longtemps mépriser l’expression par la forme. Le goût, l’habitude, l’esprit de l’antiquité reprit le dessus ; on voulut représenter ce qu’on croyait, mais une représentation directe, une imitation littérale des choses sacrées n’était ni sûre ni facile. Les chrétiens de Rome ne se retraçaient pas aisément la vérité des scènes de l’Evangile. Quelle image pouvait se faire du Christ et de sa mère, de saint Jean-Baptiste, d’Abraham ou d’Élie, un Romain, un gentil, qui ne connaissait ni Jérusalem ni le désert ? Au témoignage de saint Augustin, la figure de Jésus et de Marie était demeurée entièrement ignorée. Les formes de l’art, étroitement liées aux idées du paganisme, ne pouvaient être employées sans profanation qu’à la faveur du symbolisme. Depuis longtemps, les sujets mythologiques n’étaient plus heureusement que les emblèmes de certaines idées morales. Les fables de Psyché, d’Adonis, etc., les scènes du culte de Bacchus ne figuraient par exemple sur les tombeaux que comme expression des mystères de la mort et de la vie. À défaut des choses mêmes, le procédé pouvait être imité ; rien n’était davantage dans le génie antique, dont sous ce rapport l’esprit judéo-chrétien était loin de s’écarter. Il était, lui aussi, essentiellement figuratif et parabolique. Il fut donc naturel de débuter dans l’iconographie religieuse par le symbole. L’agneau, la colombe, le poisson, etc., furent les premiers signes auxquels s’arrêta d’abord un art timide ; mais on ne tarda pas à vouloir des représentations plus animées et plus humaines. C’est alors qu’on chercha dans la tradition des personnages et des

  1. LIII, 2. Cf. LIII, 13-16. Cette tradition semble d’ailleurs la plus ancienne. Elle a pour elle Justin, Irénée, Origène, Cyrille, Clément d’Alexandrie, et elle est adoptée et motivée par saint Augustin. Ce n’est guère qu’avec saint Jérôme et saint Jean Chrysostome que les idées commencent à changer sur ce point.