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sous les yeux du spectateur ce que sans doute il ne demande pas à voir de si près. Diderot, dans la verte langue qu’il osait si bien parler, a dit à ce sujet, dans ses immortels salons, une phrase que je ne puis répéter, mais dont le sens est celui-ci : à force de me montrer et de me contraindre à regarder des choses que je n’ai point envie de voir si nombreuses et si fréquentes, vous m’en fatiguez jusqu’au dégoût ! — Que dirait-il donc maintenant, s’il parcourait les salles et le jardin de l’exposition ? Pas plus ici que pour la peinture, ai-je besoin de le répéter ? je ne regimbe contre le nu, car il est, je le sais, l’élément même de la statuaire ; mais je trouve que le nu cesse d’être honnête lorsqu’il est traité de façon à exagérer intentionnellement certaines formes aux dépens de certaines autres, et quand il s’efforce de produire une tout autre impression que celle du beau.

Il est heureux que toutes ces nudités tapageuses soient assez médiocres pour que nous soyons autorisé à n’en point parler. En revanche, et c’est pour nous, une bonne fortune qui nous a été trop rarement offerte, nous avons à signaler et à louer presque sans réserve deux statues qui sont, je crois, le début de M. Paul Dubois. L’artiste a cherché le beau, et non pas autre chose, cela est manifeste ; le choix seul des sujets, Saint Jean, Narcisse, l’indique, suffisamment. Comme un artiste épris de la vraie beauté, de celle qui se raisonne, s’épure, s’appuie sur l’étude du vrai et sur la discussion intérieure, il a, pour modèle, préféré l’homme à la femme, et il a eu raison, car au point de vue du beau abstrait, l’homme, lorsqu’il est envisagé en dehors des questions d’histoire naturelle qui tendent sans cesse à obscurcir les principes d’esthétique, l’homme, type de pondération parfaite et chef-d’œuvre de dynamique, est supérieur à la femme, vouée par sa fonction spéciale à porter un fardeau qui exige un contre-poids et des arcs-boutans. Les sculpteurs d’autrefois, qui savaient leur métier et qui adoraient avec ferveur ce τὸ καλὸν dont nous avons maintenant oublié toutes les règles, n’ignoraient point la supériorité des formes mâles, et ils l’ont bien prouvé, car presque toujours ils ont, jusqu’à un certain point, masculinisé leurs statues de femmes. M. Dubois s’est inspiré de la nature vue à travers les traditions de l’antique et de Michel-Ange ; l’attitude de son Narcisse rappelle de loin un des esclaves du maître par excellence. Ceci n’est point un reproche que nous adressons à l’artiste : qu’il ne s’y, méprenne pas, c’est un éloge. La ligne générale ; du personnage est développée avec un soin et un souci de la pureté qu’on ne saurait trop admirer ; elle est à la fois très ferme et très souple, ce qui tient à son extrême harmonie ; point de contorsion, point de geste exagéré ; tous les membres concourent au même mouvement et prouvent,