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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 45.djvu/913

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par la belle ordonnance de l’ensemble, qu’une figure seule exige autant qu’un groupe une science profonde de composition. Si dans les contours il y a quelques mollesses encore, ce n’est point à l’artiste qu’il faut les reprocher, mais bien à la matière dont la statue est faite. Le plâtre en effet est toujours opaque, lourd; il englué le modelé et l’indique plutôt qu’il ne le précise. La pose est fort simple et naturelle. Narcisse est debout, il a replié son bras jusqu’à la hauteur de son visage et s’admire en inclinant la tête vers son corps, qu’il tâche d’avoir dans son ensemble. Certaines parties m’ont semblé traitées avec une habileté rare; je signalerai entre autres le dos, l’épaule et l’attache des reins, qui paraissent indiquer un artiste familiarisé avec tous les détails de l’anatomie, qu’il rend dans leur vérité réelle, sans les outrer à plaisir, comme le font beaucoup de sculpteurs, qui croient ainsi donner une preuve de force et n’accusent le plus souvent que leur faiblesse. Enfin c’est une œuvre d’un style et d’une ampleur auxquels nous n’étions plus accoutumés depuis longtemps.

Le Saint Jean a des qualités analogues, relevées par je ne sais quoi de plus vivant : la gracilité du sujet n’a point exclu le modelé, qui dessine une maigreur vigoureuse telle que doit être celle de l’ascète ardent qui ne parle aux hommes que pour leur annoncer la bonne nouvelle. L’enfant est nu, debout, marchant à grands pas, levant le bras et criant : « Voici l’agneau de Dieu ! » La tête chevelue est fortement accentuée, tous les traits, vivement accusés, sont en harmonie directe avec le sujet; le regard surtout a été, il me semble, très étudié par l’artiste, qui lui a donné cette indécision singulière qu’on rencontre presque toujours chez les illuminés. C’est une excellente statue, très vivante, d’une exécution encore alourdie par le plâtre, mais à laquelle le marbre rendra toute son énergie et toute sa finesse. Saint Jean est ce que j’appellerai en statuaire un sujet moderne, c’est-à-dire dont l’antique n’offre aucun modèle; par conséquent c’est un sujet propre à séduire un esprit hardi qui comprend que la sculpture de notre temps ne correspond plus aux besoins qui lui donnaient autrefois sa raison d’être. Le temple, l’heroum, le Panthéon n’existent plus; les statues qui pouvaient les peupler jadis n’ont point grand rôle à remplir aujourd’hui, et c’est, à mon avis, resserrer l’art dans des limites trop étroites que de le forcer à imiter toujours les exemples anciens recueillis, dans nos musées. C’est réduire la statuaire a n’être plus qu’un art décoratif pour les jardins et les vestibules. Ne doit-elle pas s’assigner un but supérieur, et les allégories des passions, des souffrances, des vertus, des vices de notre temps, n’ont-elles pas de quoi la tenter?

Représenter la faim comme M. Carpeaux l’a fait cette année sous