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d’une nation dont tous les mouvemens intérieurs leur échappent, et qu’ils se sentent dans l’impuissance de gouverner, se crispent dans les ténèbres qui les entourent, et, pris de rage, s’emportent à des actes de folle et odieuse violence. Fusillades, pendaisons, confiscations, exécutions des prêtres, transportation en masse des fonctionnaires catholiques, telles sont les représailles qu’ils exercent sur un peuple qui montre une si prodigieuse volonté de résistance. Ainsi la situation de la Pologne pose pour l’Europe deux questions urgentes. Une résistance secrète telle qu’elle est organisée en Pologne, animée d’une si indomptable énergie, un peuple entier devenu subitement une société secrète démontrant l’impuissance non-seulement d’assimilation, mais de gouvernement de la Russie, et constituant pour l’ordre européen un danger qu’on ne dédaignerait peut-être pas impunément, voilà la question politique. Dans cette anarchie, les opprimés et les oppresseurs étant incapables de se vaincre mutuellement, ne pouvant qu’exercer les uns sur les autres des représailles sanglantes, l’Europe de 1863 peut-elle, sans manquer à son honneur, assister froidement et patiemment à une boucherie dont on ne voit pas la fin ? Voilà la question d’humanité, et tout le monde conviendra que c’est la plus pressante.

La sollicitude que les cabinets de France, d’Angleterre et d’Autriche témoignent en ce moment pour la Pologne est quelque chose sans doute ; mais il faut, pour l’honneur des trois puissances, qu’elle soit efficace. Comment pourra-t-elle le devenir ? Nous n’avons point à examiner ce qui s’est ébruité sur la teneur des six propositions si lentement concertées entre la France, l’Angleterre et l’Autriche : il fallait, pour arriver à une solution politique de la question polonaise, trouver une base quelconque de négociation, et si la Russie accepte cette base, c’est pendant la durée des conférences que l’on aura tout le temps de discuter sur les réformes politiques indiquées par la situation de la Pologne. Le gouvernement anglais nous paraît obéir à un sentiment naturel et à une pensée juste, lorsqu’il veut régler immédiatement la question d’humanité. Le cabinet anglais persiste toujours en effet, assure-t-on, à demander l’armistice en Pologne au moment où les conférences s’ouvriront. La France ne saurait appuyer trop vivement cette légitime exigence. Les conférences seraient une cérémonie bien cruelle, si, pendant qu’elles dureront et que la Russie s’efforcera de les traîner en longueur, les massacres devaient continuer en Pologne. D’ailleurs cette question de l’armistice est elle-même hérissée de difficultés. Le consentement de la Russie ne suffit point. Il faut que le gouvernement polonais adhère à la suspension d’armes. Nous ne doutons pas qu’il n’y consente, mais à la condition que l’armistice sera complet et sincère : pour être complet, il faut qu’il s’étende aux anciennes provinces incorporées à l’empire russe ; ce sont en effet les provinces où la lutte est des deux côtés poussée avec le plus de rage. Nous avons sous les yeux des instructions russes qui prescrivent en Lithuanie tous les excès de la répression et un rapport du