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gatoire, et qui force l’homme à reconnaître sa propre imperfection. La morale enfin a pris une base bien autrement ferme, bien autrement humaine que les misérables considérations d’intérêt personnel ou d’utilité publique sur lesquelles la raison l’avait appuyée, et ici encore les Méditations de Samuel Vincent ne sont qu’un appel au cœur de l’homme pour lui faire sentir ce qu’elle est réellement, pour le convaincre que, loin d’être purement la science des actes nuisibles ou avantageux, la morale est essentiellement l’expression d’un instinct fondamental de notre nature, d’un sentiment antérieur à toute expérience, indépendant de toute science comme de tout intérêt.

Mais tout cela qu’était-ce donc, sinon une intense soif de liberté? Se replier sur soi, interroger sa vraie nature, se rendre compte des besoins irrésistibles qu’elle renferme, c’est par là même réclamer le droit d’obéir à son sens propre, le droit de se faire soi-même ses idées, ses volontés, sa vie suivant sa propre conscience et ses propres convictions, suivant son sentiment personnel du vrai, du beau et du juste. Malheureusement les instincts religieux, qui s’étaient retrouvés aussi au milieu de cette résurrection de tous les principes cachés dans l’âme humaine, ne pouvaient guère manquer en France de déterminer un retour vers l’ancienne foi, et, comme je le disais, les Lamennais, les Bonald, les Chateaubriand n’en profitèrent que trop pour ramener les esprits aux idées d’autorité qui sont si intimement incorporées à la doctrine religieuse du catholicisme. A leur école, la France retomba dans son vieux penchant : elle se remit à raisonner sur la vérité qui est une, sur l’impossibilité d’admettre à la fois comme vraies deux opinions différentes, sur la nécessité par conséquent d’assurer à tous la vérité qui est seule vraie en créant une administration chargée de l’enseigner et en enlevant aux individus la liberté de l’erreur.

Pour percer à jour cette vaine et funeste philosophie, pour prouver, — non, je dis mal, — pour montrer combien elle est menteuse, combien elle a contre elle les lois et les nécessités de notre nature, les Méditations de Vincent sont un des meilleurs livres que je connaisse. Le but de l’écrivain est de rejeter le lecteur sur lui-même et de lui ouvrir le monde moral, qui ne peut être connu que du moment où l’on a senti en soi « un principe qui ne peut s’expliquer ni par les intérêts, ni par les jouissances et les souffrances, un principe qui oblige l’homme à approuver ou à blâmer chez lui-même et chez les autres, indépendamment de la douleur ou du plaisir qui est le résultat de l’action... On dirait, ajoute Vincent, une loi supérieure, éternelle, immuable qu’il porte dans son propre sein et qui rend des arrêts incorruptibles... Celui qui n’a point une idée claire de ce principe d’obligation morale, qui ne l’a point fait sortir des profondeurs où il est caché pour le sentir vivement et s’en rendre compte, s’ignore lui-même et méconnaît ce qu’il a de plus noble et de plus grand dans son essence. » Une fois au contraire que le sentiment du devoir a pris conscience de