Mes pêcheurs ramaient bravement, et toutefois nous n’avancions guère. La marée contrariait nos efforts, et trois heures après mon départ, vers le coucher du soleil, je me trouvais encore bien loin de la terre. Je me repentis presque alors de m’être remis entre les mains d’hommes que je ne connaissais point ; mais les regrets étaient chose fort superflue à ce moment, et il ne restait qu’à rendre la situation aussi agréable que possible. Je plaçai donc un rouleau de nattes sous ma tête, et, bercé par la mer, je m’endormis au chant des matelots. Lorsque je me réveillai, il était nuit. A l’avant du bateau, on avait allumé une grande lanterne en papier. A la douteuse lueur qu’elle répandait, j’aperçus les six hommes d’équipage poussant leurs avirons avec la même activité qu’au départ. Autour de moi, je distinguai des centaines de lanternes servant à éclairer la marche d’embarcations semblables à la mienne. La plupart étaient occupées à la pêche aux flambeaux, fort commune dans ces parages, et, sur une vaste étendue, la mer était illuminée comme pour une fête. En se croisant, les matelots échangeaient entre eux certains propos à haute voix. Au mot todjin (étranger), qui résonna plusieurs fois à mes oreilles, je compris qu’il était question de moi et du but de mon voyage. Quand on est seul, à trois mille lieues de la patrie, on est souvent porté à voir des dangers où en vérité il n’en existe point. J’étais sur mes gardes ; mais, remarquant qu’aucune parole irritée ne se mêlait au colloque des marins, je me rassurai vite sur leurs intentions.
Il n’est pas inutile de faire remarquer, au début de ces récits, que le japonais, dont l’étude approfondie est pour le savant hérissée de difficultés, présente au voyageur un ensemble de locutions faciles qui lui permet, en assez peu de temps, de s’entretenir des choses usuelles. Le son de la langue japonaise rappelle celui de la langue italienne[1]. Les voyelles y abondent, et soutiennent dans un concours harmonieux un accent toujours placé avec précision. La prononciation est coulante, et on peut, avec une mémoire fort ordinaire, apprendre en quelques semaines un nombre de mots suffisant pour se mettre en rapport avec les indigènes sans le secours d’un interprète. Tous les étrangers qui résident depuis quelque temps au Japon se servent de la langue du pays, et quelques-uns la parlent même couramment. Quant à la langue des lettrés et des relations politiques, il faut, avant d’arriver à l’écrire et à la manier correctement, se livrer à d’arides études philologiques que jusqu’à présent
- ↑ Voici quelques mots japonais à l’appui de cette assertion : omodétto, je félicite ; allingato, je remercie ; tadaïma, bientôt ; madé, pas encore ; seiandra, au revoir ; konitchi, aujourd’hui ; mionitchi, demain ; wataksi, moi ; dnata, vous ; omoi, toi, etc.