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d’équivalent. Les instituts mécaniques, qui se rapprochent le plus de la combinaison en germe, ne sont pas destinés à former la main des sociétaires qui les fréquentent ; l’instruction s’y mêle à des délassemens, et les cours qu’on y suit relèvent de la théorie plus que de la pratique. Dans leurs heures libres, les ouvriers viennent y assister à quelques expériences et recueillir les premières notions des sciences appliquées aux arts qu’ils exercent. Leur intelligence s’y fortifie, leur esprit s’ouvre à des idées générales ; c’est tout ce qu’ils attendent de cet enseignement ; ils croiraient le faire déroger, s’ils lui demandaient des leçons d’habileté manuelle. Comment les Anglais se sont-ils laissé devancer sur ce dernier point, eux qui sont toujours en avance pour les matières qui les touchent ? On en devine le motif.

Pour eux, la meilleure école d’apprentissage, c’est l’atelier. L’ouvrier y entre enfant, et passe peu à peu des tâches préliminaires à celle qu’il devra définitivement remplir. Il est d’abord adjoint dans l’emploi que plus tard il occupera en titre ; il a tout à la fois sous les yeux l’exemple et le moyen de se former par l’imitation. Fait-il un écart, on le redresse à l’instant ; l’ouvrier habile dont il est l’aide ne lui laissera pas multiplier les malfaçons où sa responsabilité, comme chef du métier, est engagée. C’est un enseignement mutuel, avec l’intérêt pour aiguillon. Point d’école qui vaille celle-là. Dans les écoles comme on les imagine, qu’apprendra-t-on aux élèves ? Un peu de tout, ce qui équivaut à ne rien savoir à fond, et par le procédé d’un maître qui ne sera pas toujours le procédé des ateliers. Toute école a l’ambition de faire mieux et autrement que ce qui se fait en dehors d’elle ; les écoles professionnelles ne seront pas plus modestes que les autres. Elles auront un outillage particulier dont l’ouvrier ne retrouvera pas l’analogue quand il s’agira de s’employer ailleurs. Il faudra alors oublier et apprendre à nouveaux frais, s’habituer à des instrumens moins raffinés. Avec la manufacture pour école, la manufacture anglaise surtout, ces déceptions ne sont point à craindre. La manufacture n’a pas besoin d’ouvriers qui sachent faire trop de choses, ni qui les fassent à leur guise ; elle a des habitudes dont elle ne dévie pas. Pour l’ouvrier qui y entre, il y a une loi qui, pour n’être point écrite, n’en est pas moins en vigueur. Il s’essaie à diverses tâches, et quand il a trouvé celle à laquelle il est propre, il s’y fixe. Le patron en cela prêche d’exemple : quand un article lui réussit, il s’y voue exclusivement. L’ouvrier doit faire comme lui, s’identifier à une besogne pour ainsi dire immuable, et, sans se laisser distraire, tirer d’un détail tout ce qu’il est possible d’en tirer. On conçoit que, dans ces conditions, la manufacture anglaise juge préférable de former ses ouvriers que de les recevoir tout formés.