Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il apparaissait au regard de Gustave Planche sous l’aspect d’une évolution dans la pratique de la peinture et de la statuaire et nullement comme une loi théorique nouvelle. Aussi, à mesure qu’il vit augmenter ses prétentions, protestait-il en faveur de l’idéal contre l’invasion croissante du réel. Chacun de ses salons, pendant quinze ans, contient un nouvel anathème contre une doctrine qui l’avait trompé, qui, démentant son espoir, était devenue non le moyen, mais le but.

On ne peut le méconnaître, en dépit des énergiques et fréquens avertissemens donnés par Gustave Planche, en dépit des efforts renouvelés par quelques esprits distingués, le réalisme prend pied de plus en plus. Loin de perdre du terrain devant les attaques dont chaque jour il est l’objet, il menace au contraire d’absorber à son profit et d’enrégimenter toutes les forces des jeunes générations de peintres qui se font place dans l’école. En présence d’un tel fait, faut-il, au nom des « saines doctrines » en danger, poursuivre avec un redoublement d’énergie un système de protestations demeurées stériles ? Ne serait-il pas temps plutôt de combattre l’ennemi par d’autres moyens ? Puisqu’on n’a pu détourner le torrent, il y aurait peut-être plus de sagesse à l’étudier à sa source, à mesurer son coure : connaissant ainsi sa force d’impulsion et sa puissance, on arrivera peu à peu sans doute, et plus sûrement, à le maîtriser. L’opinion de Gustave Planche sur le réalisme, telle qu’il l’exprimait il y a près de vingt ans, est restée la nôtre, même à cette heure. Nous croyons que, malgré les excès de ses adeptes, on peut avoir confiance encore dans l’efficacité de cette doctrine, car les tendances réalistes de l’école moderne ne sont que les indices préliminaires d’un retour légitime aux anciennes tendances de l’art français. Ces aspirations primitives, refoulées, étouffées dès l’origine sans avoir pu se développer et se manifester avec suite, sont en rapport étroit avec le génie même de la France intellectuelle, qui s’est montré toujours épris de lumière, de logique et de vérité, aimant l’observation exacte, voulant le fait précis.

Une étude successive des peintres français qui sont restés vraiment français, qui ont secoué ou n’ont pas accepté le joug de la tradition italienne, établirait abondamment la justesse de ces assertions ; mais il suffira de présenter sous ses ! divers aspects le mouvement de la peinture en France depuis le XVIe siècle jusqu’à la fin du XVIIe. Nous verrons de génération en génération un artiste plus audacieux que les autres, d’une main tantôt ferme, tantôt plus hésitante, renouer la chaîne rompue à son premier anneau. Ce coup d’œil rétrospectif doit démontrer qu’il y a une cause historique aux progrès du réalisme, et qu’il a résisté à tous les efforts tentés contre lui parce qu’il avait sa raison d’être à titre1 transitoire, parce qu’il