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La passion peut en effet s’emparer d’elles, et leur donne un but, un esprit. L’élection devient alors plus réelle ; mais, en cessant d’être insignifiante, elle devient redoutable. Les adversaires du suffrage universel le placent entre ces deux extrémités, et, forcés de choisir, ils optent en général pour l’insignifiance.

Pour nous, nous ne contestons pas que du suffrage universel puisse sortir, selon les temps, le calme plat ou la tempête ; mais nous ne croyons pas qu’il soit irrévocablement condamné à cette seule alternative. Tous les systèmes peuvent y être poussés par les circonstances, et tout ce qu’on peut dire du nôtre, c’est qu’il est plus qu’un autre exposé à ce danger ; mais il n’est pas vrai que, sainement entendu, sagement organisé, il dégénère nécessairement en un simulacre d’élection. Quand il est libre, quand il est entouré de garanties suffisantes, il est au contraire, parmi les divers modes d’élection, un des moins exposés à de mesquins résultats. La voix du peuple est loin d’être infaillible, elle se trompe comme la clameur publique ; mais, comme la clameur publique, elle est chose grave, et le choix des masses, toutes choses égales d’ailleurs, ne se porte pas de lui-même sur un inconnu. L’illusion peut l’égarer, non l’indifférence, et toutes les fois que l’élection vraiment populaire se jette sur le premier venu, soyez assuré que les suffrages ne sont pas libres, qu’il n’y a pas d’élection, mais semblant d’élection, et qu’on s’est moqué du peuple.

Mais, si ses choix sont rarement nuls, ils peuvent être dangereux ; qui en doute ? À cela quel remède ? il n’y en a qu’un, et, quoique bon, il n’est pas sûr : c’est d’assez bien gouverner pour épargner . aux nations ces dégoûts subits, ces ressentimens et ces défiances intraitables, ces colères irréfléchies, enfin toutes ces illusions de la passion, nuages orageux qui grondent si souvent à l’horizon des pays libres. Mais assurément le moyen d’éviter ces bourrasques imprévues n’est pas de procéder comme s’il n’en devait jamais survenir, de s’endormir dans la quiétude d’un pouvoir incontesté, et de croire engourdir les masses en les déshabituant de toute pensée et de toute volonté. Rien n’est plus dangereux que de leurrer une nation de l’ombre de ses droits pour qu’un jour, lassé et désabusée, elle se réveille implacable. On peut avilir les peuples en les trompant, mais on ne les rend ni sages ni généreux.

Partisan invariable d’une politique sincère, nous rechercherons donc sans arrière-pensée quels sont les moyens de faire sortir du suffrage universel une élection vraie. Nous disons avant tout une élection vraie, car c’est ce qu’on peut attendre de mieux d’un principe électoral dès qu’on l’a posé. Si l’on n’en veut tirer qu’une élection qui plaise, il ne faut pas le poser, à moins qu’on ne soit :sûr d’avance qu’il rendra naturellement ce qu’on en attend. Autrement