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des limites de la puissance publique, où la totalité de la population peut ignorer l’importance, le but, le sens de la formalité qu’on l’oblige d’accomplir ? Quelle est la promesse, quelle est la menace, quelle est l’assertion ou la nouvelle que pourra s’interdire le dernier des délégués de l’autorité, là où il est certain de ne rencontrer personne qui résiste ou le démente ? Il peut arriver que le dire d’un garde champêtre change en un jour l’opinion locale, et qu’un mot de lui maîtrise tous les votes par la seule crainte d’encourir un de ses procès-verbaux en lui désobéissant. Ce dernier degré de la servitude politique est possible, et je ne vais pas jusqu’à l’hypothèse, si peu chimérique cependant, de la violence brutale et de la fraude effrontée. Voilà les abus possibles qui méritent l’attention du législateur.

En tout pays, sous tout régime qui admet des élections, l’influence de l’autorité donne naissance aux questions les plus difficiles. Cette influence est inévitable, on peut même la trouver utile, nécessaire ; mais jusqu’où doit-elle aller ? Sous quelle forme, dans quelle mesure peut-elle s’exercer ? Où cesse-t-elle d’être légitime ? Il n’est pas aisé de le dire, car si l’on prétend qu’elle doit s’interdire tout ce qui n’est ni légal ni loyal, plus d’un demandera la définition de ces mots. En voici une qui a son prix. N’est ni légal ni. loyal tout procédé qui ne supporterait pas la publicité. La conscience du magistrat, si elle ne suffit pour l’avertir d’elle-même, peut s’éclairer par cette question qu’il doit se poser avant d’agir : que dirai-je si je suis convaincu publiquement d’avoir fait ce que je vais faire ? Cette règle suffit dans bien des cas ; mais pour qu’elle ait une valeur effective, il faut la publicité, elle suppose que la tribune et la presse puissent tout dire. Là où manquent ces garanties, la morale politique est en péril, car il faut toujours en revenir là : sans la liberté de la tribune et de la presse, la société s’abaisse, et le pouvoir achève de la corrompre encore en se dépravant.

Or cette publicité n’existe plus dans un système d’élections toutes locales. Et que serait-ce si au sein même du gouvernement la crainte salutaire de l’opinion avait cessé de défendre la conscience morale contre tous les sophismes de la conscience officielle ? Il demeure donc évident que plus le droit d’élire descend profondément jusque dans les dernières couches de la nation, plus il a besoin d’être entouré de toutes les garanties qui en assurent le franc et loyal exercice ; plus il faut que la publicité, le droit de discussion, le droit de protestation, les formes protectrices de l’indépendance et du secret du vote soient respectées par les lois et les mœurs. Et comme ces conditions ne peuvent être remplies hors du contrôle de l’opinion, l’élection politique ne doit pas être communale. Il semble que l’élection par canton, comme elle s’est pratiquée deux fois, serait le