Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/333

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sous le coup de règlemens, d’ordonnances, de mesures, de toute sorte qui prévoient et dirigent les moindres mouvemens de la population. Dans une ville chinoise, rien de tout cela n’apparaît. Il n’y a point de conseil municipal, point de services organisés, point de soldats, à peine quelques agens de police. Les marchés sont toujours abondamment pourvus, sans que l’autorité s’avise de réglementer l’arrivage des denrées, ni d’en contrôler la qualité. Le régime de la voirie est des plus sommaires ; quant à l’éclairage nocturne, chacun se fie à sa lanterne, et la lune luit pour tous. En un mot, l’edilité semble être complètement absente ; on ne se doute pas qu’elle existe, et il est à croire qu’elle n’existe pas. Il est vrai que le long des fleuves les digues qui ont été élevées pour protéger les campagnes et les cités s’ouvrent parfois et laissent le passage libre • à l’inondation, que les édifices publics se dégradent, que les rebelles entrent sans façon dans les villes et mettent les boutiques ; au pillage. Ce sont des accidens ; mais qu’importe ? Tout le monde n’en meurt pas, et quand les eaux ou les rebelles se sont retirés, il reste toujours assez de Chinois pour combler les vides et reconstituer dans un temps rapproché les millions d’habitans dont ne peut se passer toute ville chinoise qui se respecte.

Il n’est rien de plus surprenant que de voir avec quelle facilité et quelle promptitude la vie remplace la mort et l’ordre succède -au désordre au sein de ce vieux pays, où les hommes sont tout à fait abandonnés à eux-mêmes, où les choses ne plient sous aucune règle, où la nature et la société marchent pour ainsi dire toutes seules, à leurs risques et périls, dans ce bienheureux état d’anarchie que certains politiques, nos contemporains, ont rêvé et prêché pour nous. Ces foules sont en vérité très commodes à vivre, et si l’étranger que le hasard jette au milieu d’elles peut éprouver une première impression d’inquiétude en songeant à la réputation d’humeur farouche, réfractaire et inhospitalière que l’on a faite au caractère chinois, il est bientôt complètement rassuré. Les Chinois n’ont pas de rancune. On vient de les combattre et de les battre, on a pris d’assaut leur capitale, on a brûlé et pillé le palais de leur empereur, on a couché jusqu’à terre l’orgueil de leurs mandarins ; tout cela date d’hier à peine, et voici qu’une petite bande de touristes, de ces Anglais à cheveux rouges qui leur ont été si souvent dénoncés dans les proclamations de l’autorité, vient se promener au milieu d’eux, curieusement, sans armes, en jaquette blanche, aussi librement qu’elle le ferait dans les rues de Londres ou de Paris ! — Mais nous sommes à Han-kow, dans une grande ville, au milieu d’un peuple éclairé et intelligent, sous le regard » vigilant d’un gouvernement qui couvre de sa protection efficace, bien qu’invisible, ces voyageurs trop empressés. Et puis l’amiral