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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/395

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du siècle : telle de ses poésies ne lui a pas même rapporté un vieux manteau : una cappa vecchia. Dans son dépit, il déclare qu’il ne louera plus aucun prince qu’à raison de cent écus par vers. N’en croyez rien : pour deux écus, vous serez un Énée, un Thésée, tout ce qu’il vous plaira.

Passe encore s’il se portait bien : travaillant du matin jusqu’au soir, il gagnerait sa vie tant bien que mal ; mais sa santé détruite le contraint à de longs chômages. Il est bien malade, et jamais il n’a pu faire le compte de tous ses maux : il souffre de la tête, de la poitrine, de l’estomac, des entrailles, sans parler de ses frénésies et de sa mémoire qui s’en va. Pour guérir ses inguérissables souffrances, il n’épargne pas les remèdes : les eaux, les bains, les cautères, les purgations, la saignée, l’ellébore, il essaie de tout ; les apothicaires font le vide dans sa bourse qui tarit. Aussi bien n’a-t-il jamais su compter. Où sont allées ses épargnes ? L’argent lui fond entre les doigts. Alors, — oh ! que cela me coûte à dire ! — alors cette main de gentilhomme, cette main qui savait manier une épée, cette main qui sculpta dans un pur marbre de Carrare la sublime figure du grand capitaine, cette main qui savait tirer des cordes d’une lyre des accens que le monde ne se lassera jamais de répéter, oh ! pitié ! oh ! douleur ! ce n’est plus que la main tremblante et flétrie d’un vieux mendiant qui jette à tous les vents du ciel ce cri lamentable : « Mon bon seigneur, je n’ai plus ni son ni maille ! Au nom du ciel, faites-moi la charité ! Mon bon seigneur, si vous ne me venez en aide, je finirai mes jours à l’hôpital des incurables ! De grâce, donnez-moi mille écus, ou, si je vous semble indiscret, donnez-m’en cent, quarante, trente, vingt, dix… Oh ! de grâce, dix écus par charité, per elemosina ! Ah ! seigneur comte, et vous, madame la princesse, vous le voyez, mes vieilles hardes montrent la corde. Faites-moi l’aumône d’un manteau : neuf ou non, je m’en accommoderai. Donnez-moi encore un pourpoint, une paire de gants, une simarre, et du linge. Oh ! surtout du linge ! Faute de linge, j’ai dû quitter Rome. Avec mes chemises effilochées, je n’osais plus faire antichambre chez leurs éminences les cardinaux. Bonnes âmes charitables, ne pourriez-vous me procurer un cheval ? Un simple bidet, et je serai content. J’aurais aussi grand besoin d’un domestique. Quand je suis né, mon père était riche ; ma mère ne m’a pas appris à me servir moi-même… Oh ! si l’on me donnait des bijoux ! Un rubis, une perle, seraient le meilleur remède à ma mélancolie. Et de l’argenterie !… J’ai toujours aimé l’argenterie à la folie… Seigneur Costantini, le duc de Bracciano m’a donné cinquante écus, et le grand-duc de Toscane pas davantage. Cependant le panégyrique que j’ai fait des Médicis a été cause que ma rupture avec le duc Alphonse