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mais bientôt ce dernier obstacle ou ce dernier scrupule est vaincu, et le journaliste des préfectures devient le journaliste de l’église avant d’aspirer à la régenter. Tout ceci veut dire que M. Veuillot, avec une nature robuste et impérieuse, a couru des hasards, qu’il a passé par les bureaux d’esprit public, et qu’il a porté nécessairement dans la discussion de tous les jours des plis de caractère, des habitudes d’intelligence, des passions et des instincts que le catholicisme a paru discipliner en leur donnant un but, mais qu’il n’a ni épurés ni même sensiblement modifiés.

Ce n’est pas sans dessein en effet que je cherche à ressaisir ces influences premières et ces premiers instincts : ils apparaissent dans les polémiques de M. Veuillot, dans ses pamphlets, dans sa manière d’entendre les choses de la politique et de la religion, jusque dans son attitude, bien plus qu’il ne le pense lui-même. M. Veuillot a écrit beaucoup pour défendre à sa manière l’ordre, la famille, la propriété, par-dessus tout la religion ; il a fait des livres, des brochures, des articles sans nombre, et parce qu’il a été dans le camp de l’ordre public, parce qu’il est catholique, il se croit conservateur. Il se trompe, il est démocrate par nature, par entraînement, par réminiscence, si l’on veut et même c’est un démocrate dans le sens le plus vulgaire et le plus dangereux du mot, non de cette démocratie généreuse et élevée qui est après tout la loi du monde moderne, qui étend à tous le bienfait d’un droit commun, mais de cette démocratie inférieure, aigrie et violente, qui se redresse en disant avec ce singulier catholique : « Je ne dois rien à la société. » On sent en lui l’homme qui a dit de sa jeunesse qu’elle a été nourrie au spectacle « des oppressions, des distances iniques et injurieuses, du hasard de la naissance, heureux pour d’autres, insupportable pour lui. » M. Veuillot, qu’il s’en doute ou qu’il l’ignore, a beaucoup de cette nature subalterne et irritée ; il en a la colère, l’âpreté, le culte involontaire de la force, l’instinct d’absolutisme, le mépris des formes politiques, un certain respect embarrassé pour l’aristocrate, — quand il ne l’insulte pas, — et, étant homme du peuple, en bon démocrate il se donne le luxe de la haine du bourgeois.

Le bourgeois, il le hait dans son esprit, dans ses œuvres, dans ses tendances et sous toutes les formes, — lettré, fonctionnaire, industriel, polytechnicien, économiste, libre penseur. Le bourgeois lui apparaît sous toute sorte de figures hébétées et grotesques de Coquelet, d’Osselet, de Perdriou, de Plumeret. Vous cherchez le grand ennemi public, le voilà : c’est le bourgeois qui est le grand corrupteur, le grand exploiteur du peuple, qui a détruit toute foi chrétienne, qui fait gras le vendredi et qui croit à 89 ! Il recevra son châtiment ; Dieu, qui l’a déjà puni et qui se charge toujours des