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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/418

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choses de son temps. Ce serait un La Bruyère assez grossier, assez hâbleur dont les personnages seraient tous ces Coquelets, ces Osselets, ces Plumerets, sans compter les autres qui ont un nom et qui passent à l’horizon. Dans cette escrime, M. Veuillot a du nerf, du trait, l’art de saisir les faibles et les ridicules, l’audace qui ne recule devant rien, l’esprit qu’on a toujours le plus aisément, il est vrai, quand on se donne le droit de tout dire, d’éclabousser de sa verve hommes et choses, amis et ennemis. Il manie avec dextérité ce style qui, selon M. de Falloux, « tantôt mystique, tantôt voltairien, un jour épuise la moquerie, le lendemain s’égare en contemplations extatiques, s’efforçant de ravir par le fanatisme les esprits que fatiguerait une constante et monotone ironie. »

Polémiste, M. Veuillot l’est dans ses romans comme dans ses descriptions de voyage, dans ses vers comme dans sa prose ; seulement il fait de la polémique un pamphlet incessant où à travers tout et sous toutes les formes un seul ton finit par dominer : l’injure, toujours l’injure. Il ne peut écrire une page, que l’invective ne déborde, qu’une idée ne soit travestie et diffamée, qu’un homme ne soit mis en caricature. La guerre qu’il fait, sans être absolument meurtrière dans ses résultats, est implacable. Qui ne se prête point à ses imaginations déchaînées ou ne se plie pas à ses allures de converti est promis aux représailles de sa colère et de son sarcasme envenimé. Prenant en bloc le siècle et le pays où il vit, il tirera parti de quelque circonstance douloureuse sans doute, mais qui a pu se voir dans d’autres temps, pour outrager de ses chaleurs de style le sentiment et l’honneur d’une société tout entière. En présence du sang de l’archevêque de Paris versé par un assassin, il s’écriera : « Il y a parmi nous des gens qui ont reçu le baptême, qui sont nés et qui ont vécu au milieu d’une société chrétienne, et qui ne verront là qu’un beau coup de couteau !… Nous avons vu en 1831 le pillage de l’archevêché, et Mgr de Quélen n’échapper que par la fuite à la mort, en 1848 le martyre de Mgr Affre, en 1857 l’assassinat sacrilège de Mgr Sibour. Époque brillante, plus féconde qu’aucune autre peut-être en écrivains, en philosophes, en artistes, en orateurs, en inventeurs,… en assassins ! » Il vous dira que libre penseur et libre faiseur c’est tout un, et que le bagne est un couvent de libres penseurs. N’est-ce pas que c’est éloquent et surtout plaisant ? Et puis, pensez-vous donc que M. Veuillot, chargé de faire la police de l’orthodoxie, institué même pour créer cette orthodoxie, s’arrête en si beau chemin ? Pensez-vous qu’il ménage l’excommunication ? Passe encore pour les libres penseurs, dont la famille ne laisse pas d’être nombreuse et comprend à peu près tout ce qui a brillé dans tous les temps par le génie, par la science ou par l’imagination, depuis Molière, cet histrion, ce malhonnête