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Néanmoins la mâle figure de ce dernier, esquissée dans un coin de la toile, n’éclaire-t-elle pas fortement, par le contraste, Dominique et tous les autres personnages du roman?

Le Mariage de Gertrude se rapproche, par une étude sincère du cœur humain, des romans que nous avons placés en tête du groupe, et où l’art s’inspire de la nature avec tant d’originalité. Si le récit de M. Uchard est chargé d’incidens, il contient de jolies pages et même des pages émues. La volonté victorieuse dans Gilbert et dans Augustin, indécise et vacillante chez Dominique, succombe chez Pierre de Chanteretz et ne se relève qu’après d’irréparables fautes. Le Mariage de Gertrude est l’histoire d’un de ces orages qui troublent parfois les âmes les mieux unies. Une bucolique en Touraine précède le roman proprement dit, et nous initie au caractère candide et franc de Gertrude, qui obtient pour mari, malgré l’affection jalouse de son père, M. de Moresne, celui qu’elle aime avec une foi profonde. Pierre de Chanteretz aime aussi Gertrude; il est heureux, mais, hélas ! on se fatigue de tout ce qui dure, même du bonheur, et Pierre de Chanteretz, las des joies paisibles qui lui avaient fait oublier les séductions du monde, s’éprend tout à coup de la belle Mme  de Tressol. L’intrigue galante qui dissipe si vite le rêve conjugal de Gertrude, le rôle misérable de Pierre entre sa femme et sa maîtresse, les angoisses de l’une, les transports de l’autre, la crise qui rompt ce lien coupable; les retours et les repentirs du mari éloigné, puis rappelé, puis banni de nouveau par la femme trompée qui se consume dans le désespoir; l’agonie de la baronne de Tressol et les dernières résistances de Gertrude aux supplications de Pierre de Chanteretz, tout cela est observé et rendu avec l’accent de la vérité en dépit de répétitions inutiles et de quelques ressorts de théâtre. La fin du roman dégénère en mélodrame, et c’est dommage. Le drame réel est d’ailleurs dans le cœur des deux époux, qui n’ont ressaisi, après tant d’épreuves, que le fantôme de leur bonheur envolé, et pour qui « les enchantemens des premières saisons ne sont point revenus ! » M. Mario Uchard vise à la grâce et rencontre souvent la manière; sa phrase fleurie, où les épithètes s’accumulent, n’est pas toujours d’un goût très pur; les images et les mots qu’il enchaîne se contrarient plus d’une fois entre eux. Le roman de M. Uchard pèche en outre par la prolixité, et l’auteur eût pu le diminuer d’un bon tiers.

La Madelon de M. About nous transporte dans un tout autre monde, et ici la critique rencontre des intentions pour lesquelles il ne lui est permis de montrer aucune complaisance. L’influence flétrissante du vice et le triomphe de la volonté appliquée au mal, la débilité et l’incapacité de la vertu, voilà en somme le double thème exploité par M. About. La douceur impérieuse de Gilbert, la robuste conscience d’Augustin, les défaillances momentanées contre lesquelles réagissent Dominique et Pierre de Chanteretz, n’ont que faire dans cette région malsaine où le cœur le plus honnête,