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l’éducation universelle doive précéder le suffrage universel ; le citoyen illettré qui ne peut recommencer son éducation n’a nulle envie de substituer à d’autres générations ses droits et ses espérances.

Le vote plural est trop en dehors de nos mœurs politiques françaises pour qu’il ne soit pas superflu d’insister davantage. Que le lecteur s’arrête de préférence sur le chapitre le plus nouveau et le plus intéressant du livre de M. Stuart Mill, celui qui est consacré à la défense des droits méconnus des minorités. On ne saurait trop louer en effet la recherche des moyens les meilleurs pour venir au secours des minorités, qui de nos jours subissent une dure revanche des abus de pouvoir qu’elles ont pu avoir à se reprocher en d’autres temps. « L’idée pure de la démocratie, c’est le gouvernement de tout le peuple par tout le peuple également représenté[1]. » Ce principe est aussi incontestable que hautement, libéral ; seulement le système[2] présenté par M. Mill et ses amis nous paraît difficilement praticable. On a souvent parlé de mécanisme en fait de gouvernement, mais c’est d’horlogerie politique, et de la plus fine, qu’il faudrait peut-être qualifier cette fois la combinaison électorale proposée.

Ingénieux et neuf en fait de suffrages et d’élections, le livre nous paraît devenir bien audacieux lorsqu’il défend sérieusement l’idée de faire voter les femmes, victimes de ce que l’auteur appelle « l’accident du sexe[3]. » L’action qu’exerce la femme dans le domaine des questions morales et politiques ne se prête guère aux classifications nouvelles que l’on voudrait établir. Pour ne parler que de la France, dans ce pays qui a connu ce qu’on nommait autrefois la bonne compagnie, à la cour comme à la ville, les femmes ne votaient pas, mais régnaient, et elles régnaient souvent sur des hommes d’élite. Le foyer de la famille et les salons étaient leur empire; que gagnerait-on à les en éloigner? Indulgentes ou sévères pour les entraînemens du cœur, les femmes donnaient le spectacle de hautes vertus plus souvent encore que celui d’élégantes faiblesses. Tout

  1. M. Mill, page 156.
  2. Les principaux traits du système peuvent se résumer ainsi : la quotité d’électeurs ayant droit à un représentant une fois déterminée, tout candidat serait élu qui réunirait une égale quotité de votes, bien qu’obtenus dans divers collèges électoraux. L’électeur qui ne voudrait pas du candidat local inscrirait sur son bulletin, par ordre de préférence, une liste d’autant de noms qu’il jugerait convenable, ne telle façon que le vote de cet électeur fût imputé à celui des candidats pour lequel le nombre légal de voix ne serait pas dépassé, ce qui éviterait les votes inutilement perdus et permettrait aux minorités locales éparses dans tout le pays de se réunir pour le choix d’un représentant. (Stuart Mill, p. 65 et suiv.) — Il serait intéressant d’examiner combien de députés non recommandés officiellement eussent été nommés aux élections de 1863 par les minorités éparses dans notre pays et groupées d’après le système que propose M. Stuart Mill.
  3. Page 221.