Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’était pas futile dans un monde où l’on songeait toujours à plaire, et maintes fois les défaillances de l’esprit ou du caractère étaient soutenues ou relevées par de délicates et généreuses influences. Le commerce des femmes, prisé jadis comme l’encouragement et le délassement utiles de la vie occupée, ne l’était pas moins comme apportant aux heures de loisir ou de retraite un charme et des consolations favorables au mouvement de l’esprit; car les Françaises ont excellé dans l’art de la conversation, et dans les entretiens qu’elles présidaient s’ébauchait souvent la discussion des plus graves intérêts. Il y avait alors des réunions variées où régnait beaucoup d’indépendance de langage avec une grande égalité. Quel que fût le nom ou la fortune, on n’y était apprécié et choyé qu’en proportion de la distinction et de l’agrément personnels, par une forme de suffrage universel qui n’était pas plus exempte qu’une autre, il faut bien le dire, d’engouemens et d’erreurs. C’était une sorte de république de l’élégance, du talent, de l’esprit ou de la beauté, république des gens comme il faut, qui s’était maintenue jusqu’après la restauration. Du reste, même en laissant de côté l’hypothèse de l’introduction officielle des femmes dans la vie politique, il peut sembler douteux qu’on parvienne à établir prochainement en Angleterre le système du suffrage universel sans un entier bouleversement.

Quant à notre pays, est-ce par politesse que M. Mill s’occupe beaucoup du suffrage universel de l’Amérique et peu de celui de la France? Trouverait-il que nous n’avons pas réalisé « l’idéal du gouvernement représentatif, dont la perfection, selon lui, est le suffrage universel? » Quel que soit à ce sujet l’avis de M. Mill, il ne nous semble guère croyable que cette grande institution n’enfante pas à la longue quelque liberté dans tous les pays qui sauront la comprendre et la pratiquer. Comment faut-il comprendre et pratiquer le suffrage universel? Telle est la question que soulève le publiciste anglais, et ce qui le frappe comme tous les esprits sérieux dans l’exercice du suffrage universel, c’est l’amalgame de tous les élémens sociaux d’un pays, tous excellens, mais confondus. Quand tout le monde sans exception vote indistinctement, cela est très flatteur; mais ce qui le serait davantage, c’est que tout le monde fût représenté efficacement ou distinctement au moins, selon la nuance de sa situation, de sa personnalité ou de son intérêt. En France par exemple, ce qu’on redoute, ce n’est pas le peuple, c’est la foule, force aveugle et irresponsable. La foule électorale, aussi bien que la multitude agglomérée, renferme des dangers et une impuissance évidentes, et ni l’une ni l’autre ne constituent l’état normal et nécessaire d’une démocratie régulière. Que nous soyons une démocratie, nul n’en saurait douter; mais on ne saurait nier non plus que nous ne soyons une démocratie mixte. A ceux qui prétendent tour à