Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/554

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

disait-elle. — Jean n’y tenait plus; il sortait, et souvent elle ne le revoyait pas de la journée. — Qu’a-t-il donc? que me cache-t-il? — Elle se doutait bien que Flavio était pour quelque chose dans le trouble de Jean, mais elle croyait à un nouvel accès de jalousie et ne prévoyait guère la vérité.

Les voyageurs qui ont parcouru l’Italie à l’époque où se passe cette histoire trouveront fort simple qu’une insurrection ait eu lieu dans les Calabres et que les pays voisins ne l’aient pas su immédiatement. En effet, les journaux étaient muets, la police exerçait une surveillance impitoyable; la poste ne respectait guère le secret des lettres, l’on arrêtait sans miséricorde les porteurs de mauvaises nouvelles. On pourra se rendre très nettement compte de cette absence radicale de communications en se rappelant qu’à une époque plus récente, pendant la guerre de Crimée, la Gazette officielle du royaume des Deux-Siciles, seul journal alors de toutes les terres napolitaines, ne publia pas une ligne qui pût laisser soupçonner qu’une longue guerre, à laquelle cinq puissances, dont une italienne, prenaient part, se poursuivait en Orient. Une lumière, d’où qu’elle vînt et quelle qu’elle fût, pouvant allumer un incendie, il fallait d’abord, et n’importe comment, éteindre toutes les lumières. Les Calabres étaient donc agitées déjà depuis quelques jours, et Ravenne ne s’en doutait même pas.

Cependant un bateau caboteur venu de Brindisi apporta la nouvelle de l’insurrection, qui bientôt circula et grossit en se répandant. Un matin, une des domestiques de Sylverine, qui revenait du marché, entra chez sa maîtresse et lui dit: — Madame sait-elle qu’on se bat dans les Calabres, du côté de Cosenza?

Ce fut un jet de lumière pour Sylverine : elle comprit tout. Pendant qu’elle s’habillait à la hâte, la servante lui racontait ce qu’elle avait appris, que les insurgés avaient été battus par les troupes royales, que le chef était pris, que c’était un fort bel homme, et qu’on allait l’envoyer à Naples pour y être jugé et exécuté. Sylverine ne répondait rien, mais de temps en temps elle disait : — Mon Dieu ! mon Dieu !

Elle courut chez Jean : — Malheureux, où est Flavio? lui cria-t-elle.

Il essaya de balbutier une réponse évasive.

— Tais-toi, reprit-elle avec emportement, je sais tout. Tu es un lâche! ta place était à ses côtés. Il est là-bas dans les Calabres; que fais-tu ici?

Jean se jeta à ses pieds. — Écrase-moi, lui dit-il; je t’aimais, je t’adorais, je n’ai jamais pu me résoudre à te quitter... Nous avons tiré au sort, ma chère Sylverine; Flavio a perdu, il est parti.