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en a publiée peu après, et qui est un de ses plus grands titres, a mis la France, dès 1840, en possession d’un admirable monument de critique négative, qui n’est pas précisément la vie de Jésus, puisqu’il ne consiste qu’en une discussion perpétuelle, mais après lequel seulement on pouvait écrire avec sûreté la vie de Jésus. À partir de ce moment, les esprits se portèrent de tous côtés sur ces questions, et une sorte de conversation universelle, s’établissant sur les origines du christianisme, annonça qu’on en aurait bientôt l’histoire.

Le livre de M. Salvador, Jésus-Christ et sa doctrine, quoiqu’il n’ait paru qu’après celui du docteur Strauss, n’a pas été conçu évidemment sous son influence. Lui seul en France s’était trouvé prêt avant le mouvement général, et il le devait à son caractère d’Israélite, qui lui donnait à la fois la connaissance de bien des choses dont ne s’occupaient pas les chrétiens et des raisons de s’y intéresser qui leur manquaient. Déjà dix années auparavant, dans son Histoire des Institutions de Moïse, il avait touché incidemment la question du procès de Jésus, et l’avait traitée d’une manière qui avait vivement ému les esprits. Jésus-Christ et sa doctrine est un livre intéressant et remarquable ; mais, outre que c’est plutôt une discussion qu’une histoire, la thèse juive qui y est développée et qui en fait l’intérêt ne permet pas de le comparer à un livre qui s’élève au-dessus de toute thèse et de toute église.

Lamennais, devenu libre, aurait écrit, je le crois, la vie de Jésus, s’il avait été plus jeune : en 1840, il touchait à soixante ans. Six ans plus tard, il publia la traduction des Évangiles avec des notes toutes pleines de l’esprit nouveau ; il ne put faire davantage.

C’est moins de deux ans après, qu’un jeune compatriote de Lamennais, M. Ernest Renan, qui lui-même était entré dans le sanctuaire, mais qui en était sorti à temps, débuta dans un journal philosophique dont la courte existence a laissé une trace profonde, la Liberté de penser. Dès 1850, il hasarda dans ce journal, sous de simples initiales, ses études sur les Historiens critiques de Jésus, première préparation de sa propre histoire. Cette histoire paraît aujourd’hui, je n’ai pas besoin de dire avec quel éclat et au milieu de quelle attente. Pour nous rendre compte de cette confiance du public et de la vocation qui marquait M. Renan pour cette œuvre, cherchons quelles qualités étaient nécessaires à celui qui prétendait l’accomplir. Il fallait un penseur, un esprit d’une largeur et d’une élévation sans limites, absolument dégagé de tout préjugé et de toute tradition. Il fallait un savant, un érudit qui pût tout lire et qui eût tout lu, et lu avec toutes les ressources de la critique philologique. Il devait savoir l’hébreu, non pas peut-être que cette con-