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aimer, et enfin la liberté généreuse qui se met au-dessus des faux scrupules et fait hardiment le bien par la vérité.


II.

Je présenterai maintenant à l’auteur quelques objections qui se résument toutes en ceci, que sa critique dans le détail n’est pas toujours assez ferme et assez sévère. Remarquez bien que je ne demande pas qu’elle soit plus savante ni plus hardie. M. Renan sait tout ce qu’on peut savoir, et personne n’a rien à lui apprendre. Il n’est pas homme non plus à reculer devant une conséquence qui étonne, et comprend à merveille jusqu’où peut mener une idée ; mais il est un narrateur ému et sympathique, il s’attache, non pas seulement au personnage de Jésus, mais aux témoins mêmes par lesquels il arrive jusqu’à lui, et, séduit par l’intérêt de leur témoignage ou de son récit, il renonce quelquefois volontairement à suivre jusqu’au bout sa propre critique. Il connaît et mentionne l’objection, car il ne lui arrive jamais d’être dupe, mais il n’en tient compte ; il s’acquitte pour ainsi dire envers sa conscience d’érudit par des points d’interrogation placés entre parenthèse ou en note, puis il passe outre pour rentrer dans des suppositions complaisantes dont j’invite le lecteur à se défier quelquefois.

Ainsi d’abord il sait et il dit tous les traits où on peut reconnaître, dans les Évangiles, que ceux qui les ont écrits ne sont pas des témoins oculaires, ni même des hommes qui touchent eux-mêmes à ces témoins. Cependant à certains momens il lui plaît de croire qu’il entend Matthieu dans l’évangile qui porte ce nom, et Jean dans le quatrième, et dans les deux autres deux autres compagnons de Jésus. Il demeure indécis et vague, il dit : « Ils sont à peu près des auteurs auxquels on les attribue, » comme s’il pouvait y avoir en cette matière de l’à peu près. Ou bien : « Je n’ose être assuré que le plus ancien évangile ait été écrit tout entier de la plume d’un ancien pêcheur galiléen, » quoiqu’il lui soit absolument impossible de faire le départ entre ce qu’il accepte et ce qu’il rejette. Comme lui-même le dit fort bien, « un traité complet sur la rédaction des Évangiles serait un ouvrage à lui seul. » Je ne puis faire ici ce traité, et toute discussion m’est impossible ; je ne puis qu’énoncer sans le prouver ce que je pense. Je pense donc que non-seulement Jésus n’a rien écrit, mais que les compagnons de Jésus n’ont rien écrit, qu’ainsi aucun évangile, ni aucune portion d’évangile, n’est authentique, et qu’il n’y a d’écrit authentique dans ce qu’on appelle le Nouveau Testament que les seules Lettres de Paul. M. Renan dit : « Supposons qu’il y a dix ou douze ans, trois ou