Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/610

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par larges plaques d’une mousse jaunâtre; mais nulle part on n’y découvre vestige d’habitation. Les anses et criques qui découpent le rivage en festons infinis sont également désertes, et tout respire la tristesse et l’abandon. Olga-Bay, long de plus de deux milles, large d’un mille et demi, présente un bon refuge aux navires, excepté contre les ouragans du sud-est. L’entrée du port est facile et sûre; elle est formée de rochers à pic et masquée par une île granitique nue et aride, appelée l’île de Brydone. Le paysage d’Olga-Bay ressemble à celui de Vladivostock. En hiver, la solitude et l’ennui l’enveloppent d’un double linceul. Une grande rivière, Gilbert-River, se jette dans l’angle nord-ouest du port; elle coule dans un lit profond, resserré entre de hautes montagnes, et se divise, à quelques lieues de son embouchure, en plusieurs affluens qui cessent d’être navigables. Au nord-est se trouve un petit port intérieur dont la barre interdit l’approche aux bâtimens qui tirent plus de quatorze pieds d’eau. C’est sur les bords de ce havre que les Russes se sont établis; leur colonie se compose de deux officiers et de quarante-cinq soldats logés dans une douzaine de baraques en bois. Quant à la population indigène que l’on rencontre aux environs d’Olga-Bay, elle appartient à la race tartare. Au point de vue de la moralité, elle est supérieure aux Mansas de Vladivostock; mais elle est tellement pauvre, ignorante et sauvage, et de plus tellement clair-semée, que les Russes ont jusqu’à présent dédaigné d’entamer des relations avec elle.

Les environs d’Olga-Bay sont fertiles. On y trouve de grandes prairies d’une fécondité admirable et des forêts de bois de construction où vivent des milliers de bêtes à fourrures précieuses, et où les rares chasseurs qui ont pénétré dans ces solitudes ont rencontré du gibier en abondance. Ce qui manque au pays, ce sont des relations avec le monde européen, et des travailleurs capables d’exploiter ses richesses. Le gouvernement russe aurait, à ce qu’on m’a raconté, l’intention d’envoyer à Olga-Bay quelques centaines de colons; mais l’immense désert qu’il s’agirait de soumettre à l’exploitation serait un obstacle presque insurmontable au succès de leurs efforts. D’ailleurs Olga-Bay est loin d’avoir l’importance spéciale qui s’attache à Vladivostock. On ne pourrait, sans frais énormes, mettre ce port en communication avec la Sibérie, et tôt ou tard il sera probablement abandonné; les colons d’Olga-Bay viendront se réunir à ceux de Vladivostock, le seul port de la Mandchourie auquel un certain avenir semble réservé[1]. La vie qu’on y mène est d’une monotonie

  1. Outre Vladivostock et Olga-Bay, les Russes possèdent, sur la côte de la Mandchourie et sur la côte occidentale de la grande île de Saghalien, Passiat-Bay, Koussounaï, Imperator-Bay, Doui, Castries-Bay et Nikolaïefsk. — A Passiat-Bay, sous 42 degrés de latitude nord, on a trouvé de la houille. Koussounaï et Doui, dans l’île de Saghalien, n’offrent aucun abri aux navires; on y a établi des postes militaires, à Koussounaï (48 degrés de latitude nord) pour surveiller la frontière japonaise, à Doui (51 degrés) à cause des mines de charbon qu’on y a découvertes. La colonie d’Imperator-Bay possède un excellent mouillage; mais elle est sans communications avec l’intérieur, et un faible détachement de soldats suffit à la garder. Castries-Bay (52 degrés) est, après Vladivostock, le port le plus considérable que les Russes possèdent dans ces parages; il est relié par une route facile au lac Kisi, d’où, avec de légères embarcations, on peut gagner le fleuve Amour. Les Russes se sont établis à Castries et à Imperator en 1854, à Doui en 1856, à Koussounaï en 1857, à Olga en 1858, enfin à Passiat et à Vladivostock en 1860. La nécessité de tous ces établissemens n’est pas encore bien démontrée, car Nikolaïefsk même, sur l’Amour, la seule grande ville des Russes dans cette partie du monde, est loin d’avoir acquis beaucoup d’importance commerciale. La fondation de ces colonies lointaines n’aura sa raison d’être pour la Russie que lorsque les projets du gouvernement des tsars sur la Chine et le Japon auront pris une certaine consistance. Les richesses naturelles de la Mandchourie ne sont qu’incomplètement connues, et l’exploitation serait entourée d’immenses difficultés. J’ai déjà parlé des houillères de Passiat-Bay et de Doui; j’ajoute qu’on a découvert du marbre à Olga-Bay et du minerai d’or à Vladivostock. Le bois de construction abonde dans l’intérieur de la Mandchourie, et le commerce des pelleteries donnerait, si on l’entreprenait, des résultats satisfaisans. Le grand obstacle à la civilisation de ces vastes contrées, l’obstacle qui, pendant fort longtemps encore, demeurera insurmontable, c’est l’insuffisance de la population. Au nord, on rencontre quelques tribus errantes, les Guilakes, les Toungouses et les Orotches, qui, à la hauteur d’Olga-Bay, se mêlent un peu aux Chinois. Au sud d’Olga et sur la cote, on ne trouve que des Mansas. Le botaniste Maximovitch estime que toute la population indigène des côtes de la Mandchourie, depuis le 42e jusqu’au 52e degré de latitude nord, n’excède pas le chiffre d’un millier d’individus.