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Le gouverneur de Vladivostock nous dit que, somme toute, c’étaient des êtres inoffensifs, bien qu’il ne fallût pas se fier à leur honnêteté. Il tolérait volontiers leur présence dans les environs de la colonie, et les trouvait toujours prêts à lui rendre, pour la plus modique rétribution, tous les services dont ils étaient capables, « Ce sont des hommes infatigables, ajouta-t-il, et qui aiment assurément le travail. S’il était possible de leur procurer des femmes et de pourvoir aux frais de leur établissement, ils ne tarderaient pas à former de pacifiques communautés de laboureurs et de trafiquans. Ces pauvres diables mènent une existence dure et chétive, et n’attachent aucun prix à la liberté complète que leur assurent leurs habitudes nomades. Ils me servent avec zèle, et ceux que je garde près de moi, bien que je ne puisse rien leur donner, excepte le logement et la nourriture, sont regardés comme les plus favorisés de leur tribu. »

Nous quittâmes Vladivostock dans la soirée du 3 novembre. Notre séjour, quoique de courte durée, avait pourtant suffi à établir une certaine inimité entre nous et les deux officiers que nous y laissions. Jusqu’au dernier moment, ils restèrent à bord du Saint-Louis, et je m’aperçus que notre départ leur causait une véritable peine. Nous étions pour eux les représentans de ce monde lointain où ils avaient laissé leurs affections et leurs espérances; nous allions y revenir, et notre départ les abandonnait de nouveau à l’isolement et à l’accablant ennui qui dévorait leur existence monotone. Ils se retirèrent enfin et regagnèrent le rivage. Là, ils s’arrêtèrent et suivirent des yeux le bâtiment qui s’éloignait lentement. Aussi longtemps qu’il me fut possible de distinguer la terre, je les vis à la même place, immobiles, debout, semblables à des statues. Le jour baissait rapidement, et la nuit les enveloppa bientôt dans ses ombres; mais ma pensée ne les avait pas quittés, et je crus les voir rentrer silencieux et tristes, poursuivant encore les souvenirs qui s’étaient réveillés en eux pendant notre rapide séjour.

Olga-Bay, autre port russe que nous devions visiter, et que les Anglais ont baptisé du nom de Port-Michel-Seymour, se trouve entre 38" 46’ de latitude nord et 135° 19’ de longitude est, à une distance de cent quatre-vingt-dix milles de Vladivostock. Pendant la traversée, nous ne perdîmes pas un instant de vue la côte de la Mandchourie; elle est formée par une chaîne non interrompue de montagnes hautes de quinze cents pieds environ, et qui se relie à une autre chaîne beaucoup plus élevée, dont la crête est couverte de neige et dont les sommets se perdent dans les nuages. Ces montagnes se composent de masses rocheuses noirâtres, escarpées, arides, couronnées çà et là de bouquets de bois, flanquées d’arbres rabougris et tachées