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pices avaient poussé de l’Occident vers l’Orient, et apporta avec elle des arcs, des flèches, des lances, des couteaux, des filets, tous les engins nécessaires pour chasser les bêtes fauves qui infestent les forêts, et pour ravir à leur élément les poissons qui remplissent la mer et les fleuves. Pendant une longue suite d’années, cette femme vécut seule et heureuse dans un jardin qui existe encore, mais dont nul être vivant ne retrouvera jamais la place. Un jour, en revenant de la chasse, elle se sentit fatiguée, et pour se délasser elle alla se baigner dans la rivière qui séparait ses domaines du reste du monde. Soudain elle aperçut un chien qui nageait vers elle avec rapidité. Effrayée, elle sortit de l’eau et se cacha derrière un arbre. L’animal la suivit et lui demanda pourquoi elle s’était enfuie ; elle répondit qu’elle avait eu peur, a Laisse-moi rester auprès de toi, dit alors le chien, je serai ton compagnon, ton protecteur, et. tu ne craindras plus rien. » Elle y consentit, et de l’union de ces deux créatures naquirent les Aïnos, c’est-à-dire les hommes. »

À cette fable ils en joignent plusieurs autres affirmant toutes que les Aïnos qui peuplent aujourd’hui l’archipel des Kouriles, dont Yézo est l’île la plus méridionale, sont venus de l’Occident. C’est en effet sur le continent asiatique et probablement dans l’intérieur des terres qu’il faut chercher leur origine ; il est certain qu’ils ne ressemblent point à leurs voisins, Guilakes, Toungouses, Mandchoux, et autres peuplades répandues en ce moment sur la côte orientale du nord de l’Asie. Cette race, entièrement isolée, s’éteint à présent : écrasée sous le joug impitoyable des Japonais, réduite à un état de misère et de servitude qui a étouffé en elle l’instinct même du progrès, elle descend d’un pas rapide dans la grande tombe des races vaincues et disparues, où elle reposera bientôt à côté de ses voisins et compagnons de souffrances, les Kamtchadales et les Indiens de l’Amérique du Nord. Elle a vécu pourtant avec quelque gloire. Dans les temps les plus reculés, six siècles avant Jésus-Christ, les Aïnos étaient maîtres des provinces du nord de la grande île de Nippon, et sous le règne du premier mikado Sin-Mou les Japonais les traitaient comme des égaux, sinon comme des maîtres ; mais leur force s’abâtardit dans leur commerce avec les Japonais. Peu à peu ils perdirent terrain, pouvoir et influence, et, forcés de repasser le détroit de Tsougar, ils se bornèrent à leur ancienne possession des Kouriles. Les Japonais finirent par les poursuivre jusque dans cet archipel : un de leurs généraux leur fit une longue guerre et les soumit, vers la fin du XIVe siècle, au gouvernement impérial. Depuis cette époque, ils n’ont jamais tenté de s’arracher à l’état de servitude où les Japonais, qui les méprisent, n’ont cessé de les maintenir. Ils n’osent aborder leurs maîtres qu’avec les marques d’un pro-