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possédé d’une fureur divine, contemple ce qu’il ne peut comprendre, et s’enivre de joies qu’il est impuissant à décrire ! Tantôt, comme s’arrachant à lui-même, il s’élance d’un bond jusque dans le séjour de l’éternelle beauté, dont tout ce qui existe n’est qu’une pâle et imparfaite copie, et il se nourrit avidement de cette chair délicieuse. Tantôt, illuminé d’un rayon prophétique, il sort du temps, les voiles tombent, ses regards fixes et assurés dévorent l’avenir, Dieu lui abandonne cette proie. Que si cette possession ne lui suffit pas, il a en lui de quoi s’élever plus haut encore. « L’intelligence humaine, a dit le Tasse, renferme en elle les formes de toutes choses, et elle a le don de s’assimiler à tous les objets de sa pensée, ce qui permet de dire que l’univers entier est en elle… Et ainsi, par la contemplation des pures intelligences ou des anges, il dépend d’elle de devenir angélique, et elle se rend toute divine par la contemplation de la Divinité. »

Homme, aspirant à la vie complète, vis par les sens, par la pensée et par l’extase, car l’univers est en toi ! — C’est le mot de la renaissance. Aussi ne nous étonnons pas des merveilles qu’accomplirent ses artistes. L’art atteint sa perfection, s’épanouit dans sa fleur aux époques où l’homme, connaissant sa propre grandeur, se sent en harmonie avec le monde.

Saintes de Fra Angelico, l’admiration que vous nous inspirez est mêlée d’une tendre pitié ! Ames charmantes, vous êtes malades et souffreteuses ! Je ne sais quelle pudeur de vivre vous travaille. Oh ! que la terre est dure à vos pieds délicats ! Vous semblez dire : Nous avons habité avec les peuples de Cédar et nous avons été étrangères au milieu d’eux. Qui nous donnera des ailes comme à la colombe ?… Anges dépaysés, hâtez-vous de fuir, car un jour nouveau se lève, et la terre entendra prêcher une nouvelle sagesse que vous ne pourriez comprendre… Une âme saine, libre et heureuse, une âme qui se sent à l’aise dans son corps, parce qu’il ne lui résiste pas et qu’elle le pénètre de toutes parts comme un rayon de soleil pénètre un pur cristal, une âme qui sait goûter tour à tour les joies de la contemplation, le charme de sentir et la douceur de respirer, une âme qui, guérie de toute fausse pudeur, s’abaisse sans déroger aux soins ordinaires de la vie, ou, s’élançant à Dieu, vit dans le divin comme l’oiseau dans l’air, une âme infiniment étendue et divinement harmonieuse, — voilà ce que je lis dans les yeux d’une Vierge de Raphaël !

Après avoir rétabli l’harmonie dans la vie humaine, la renaissance la rétablit aussi dans l’histoire de l’humanité. Elle a réconcilié les sens avec l’esprit, la matière avec les splendeurs angéliques ; — elle entreprend de réconcilier le paganisme avec le Christ, elle amène