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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/679

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genêts qui fleurissent ensemble au printemps, et couvrent la plaine d’un immense voile d’or. Des mousses, des graminées, des ronces, croissent sur le bord des sentiers; des nénufars et d’autres plantes aquatiques dorment à la surface vaseuse des lagunes; des bouquets de joncs et de carex croissent dans la terre spongieuse des flaques d’eau. C’est là tout. À peine à l’extrême horizon peut-on distinguer une ligne d’un vert bleuâtre indiquant la lisière d’une forêt de pins.

Le silence est grand dans ces espaces inhabités. Au lever et au coucher du soleil, les oiseaux de la lande, aussi bien que ceux des bois, gazouillent leurs chants de salut ou d’adieu; mais dans la journée on n’entend que le sempiternel grincement du corselet des cigales, ce bruit si monotone qu’à la fin l’oreille cesse de le percevoir. La tristesse solennelle de la plaine rappelle parfois celle de l’Océan, et quand la brume efface les objets lointains, on pourrait facilement se croire au milieu d’un banc de sable assiégé par les eaux. D’autres circonstances contribuent à cette illusion. Sur la surface horizontale des landes comme sur la mer, il suffit de regarder le pourtour de l’horizon pour y voir clairement des preuves de la rondeur du globe. Bien que le regard plane sans difficulté au-dessus de la nappe verte des bruyères, cependant les murailles des maisons et les tiges des pins qui apparaissent aux limites de la plaine restent cachées par la convexité du sol. On n’aperçoit d’abord que les toits et les branchages, puis, à mesure qu’on se rapproche, les murs et les troncs d’arbres se révèlent, de même qu’en pleine mer on distingue la coque du navire longtemps après avoir vu les voiles et les mâts. Enfin, comme sur l’Océan, le spectacle changeant du ciel, auquel on ne prête par habitude qu’une attention secondaire dans les pays accidentés, regagne ici toute son importance, et devient le principal élément du paysage. La surface de la lande, plane et sans mouvement, s’abaisse vers l’horizon comme le dos d’un bouclier gigantesque, et ne présente rien dans son étendue qui puisse arrêter le regard; mais au-dessus s’arrondit le grand dôme de l’atmosphère, avec ses jeux d’ombre et de lumière, la dégradation successive de ses couleurs depuis le bleu profond jusqu’au pourpre enflammé, ses nuages qui se pourchassent, s’éparpillent ou se groupent, se disposent en longues traînées transparentes ou s’accumulent en masses d’un gris sombre. Cette immense rondeur du ciel, qui forme à elle seule presque tout le paysage, et qui se reflète çà et là sur la surface tranquille des mares, arrête d’autant plus l’attention qu’on y remarque un singulier contraste. Le bleu de l’air est doux et pailleté de lumière, comme l’est toujours le bel azur du midi; mais les nuages, déchirés, déchiquetés, réduits en lambeaux par le vent de la mer, ressemblent souvent à ceux de la Hollande