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d’une grande simplicité, d’une sincérité, d’une candeur incontestables. Le «j’étais là, telle chose m’advint, » de notre fabuliste, serait l’épigraphe naturelle d’un livre comme celui-ci. Pour le résumer fidèlement, pour en donner une exacte idée, tout préambule fastueux, tout effort de mise en scène seraient parfaitement déplacés. Nous nous contenterons donc d’une simple analyse, heureux si nous faisons partager à nos lecteurs le plaisir que nous avons éprouvé à parcourir les deux volumes de M. Bates, plus heureux encore si nous pouvions nous flatter d’appeler l’attention publique sur les patiens efforts d’un homme qui a donné au progrès scientifique les gages d’un zèle si éprouvé.


I.

Parti de Liverpool le 26 avril 1848 sur un petit bâtiment de commerce, M. Bates se trouvait un mois après, jour pour jour, devant Salinas. C’est là que prennent leurs pilotes les navires frétés pour Pará, l’unique port par lequel on pénètre dans les vastes régions qu’arrose le fleuve des Amazones. Salinas est un petit village jadis fondé par les missionnaires jésuites et situé à quelques milles à l’est de la rivière Pará. Cette rivière, à son embouchure, n’a pas moins de trente-six milles de large. Soixante-dix milles plus haut, c’est-à-dire à l’endroit où s’élève la ville qui en porte le nom, elle mesure encore vingt milles; mais là commence une série d’îlots qui, en face même de la cité, rétrécissent considérablement le lit de la rivière. Ce qui distingue le plus nettement la rivière Pará du fleuve des Amazones, c’est que dans la première les marées déterminent un flux remontant d’une grande puissance; dans le second au contraire, une énorme masse d’eaux troubles s’impose à tous les courans et descend constamment vers la mer. La couleur de l’eau diffère aussi : celle du Pará est d’un orangé brun légèrement enfumé, tandis que celle des Amazones offre une teinte d’ocre tirant sur le jaune. Enfin les forêts qui les bordent n’ont pas le même aspect. Les arbres qui couvrent les rives du Pará semblent, dans leur diversité infinie, sortir directement du sein des eaux, et la marge verte de la forêt se présente sous un aspect paisible et riant, tandis que le rivage des Amazones, fréquemment encombré de troncs abattus, a pour bordure d’immenses gazons aux larges feuilles. Cette différence est due en partie à la force et à la constance des courans qui, sur le fleuve principal, déchirent les berges, emportant vers la mer une ligne presque ininterrompue d’arbres morts et d’autres débris. Les embouchures combinées du Pará et des Amazones peuvent être regardées comme formant un immense delta dont les trois faces mesurent