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sage que tous les Indiens à demi civilisés, et beaucoup de ceux qu’on regarde encore comme absolument sauvages, accordent au cérémonial d’une première rencontre. Les hommes persécutèrent Penna[1] pour avoir de la cachaça (du rhum), qui est la seule importation de l’homme blanc qui mérite et obtienne leur approbation. Comme ils n’avaient absolument rien à donner en échange, Penna refusa de satisfaire à leurs vœux. Ils nous suivirent pendant que nous descendions vers notre ancrage, et devinrent fort incommodes lorsqu’ils se virent réunis au nombre d’une douzaine. Ils avaient apporté avec eux leurs bouteilles vides et nous promettaient des tortues et du poisson, pourvu qu’au préalable nous voulussions leur faire crédit d’un peu d’aguardiente ou de cau-im, ainsi qu’ils l’appellent. Penna se montra inexorable : il enjoignit à l’équipage de lever l’ancre, et du haut de la berge, tandis que les flots nous emportaient, les sauvages désappointés nous sifflèrent longtemps de toutes leurs forces. »


Ce fut en remontant la rivière des Tapajos que M. Bates rencontra pour la première fois un village de Mundurúcus, dont les habitations, au nombre d’une trentaine et dispersées sur une étendue de six à sept milles, avaient été construites dans les sites les plus pittoresques, tantôt au pied de hauteurs boisées, tantôt au fond de petites criques étalant au bord de l’eau leurs plages de sable blanc. La plupart étaient des huttes coniques, aux parois de charpente garnies d’argile et recouvertes, en guise de chaume, de larges feuilles de palmier qui enveloppaient la moitié du léger édifice; d’autres, entourées de quatre murs, ne différaient guère des cabanes que se bâtissent les colons à demi civilisés; d’autres enfin étaient de simples hangars ouverts appelés ranchos. Les combattans de la tribu revenaient ce matin-là même d’une chasse de deux jours donnée à une horde nomade de la tribu Pararaun’to, qui était venue de l’intérieur mettre les plantations au pillage. La plupart de ces hommes dormaient dans leur hamac. Les femmes étaient occupées à faire leur farinhà ; beaucoup étaient absolument nues et se précipitaient dans les huttes, à la vue des blancs, pour passer en toute hâte leurs jupons. Le chef ou tushaúa, réveillé en sursaut, s’avança vers les voyageurs en se frottant les yeux et leur souhaita la bienvenue en très bon portugais, avec les formes de la plus parfaite courtoisie. Vêtu d’une chemise et d’un pantalon en cotonnade bleue à quadrilles, et ne portant aucune trace des tatouages qui défiguraient quelques-uns des vieillards de la tribu, il n’avait rien de sauvage ni dans l’aspect ni dans la tenue. La horde qu’il gouverne par droit héréditaire, et qui porte le nom spécial de Cupari, fournissait jadis en temps de guerre un contingent de trois cents arcs, réduit maintenant à moins de quarante. Du reste, elle n’a plus de liens politi-

  1. C’est le nom d’un trafiquant d’Éga, sur le bâtiment duquel se trouvait le voyageur.