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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/837

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flots. J’étais tenté de leur demander pourquoi elles avaient quitté les bords des champs cultivés et les ombrages paisibles du bois de Meudon, où elles reçoivent les hommages des botanistes parisiens, pour vivre tristement parmi des étrangers. Néanmoins les plantes alpines étaient en majorité. Au haut de la pente, je me trouvai sur un plateau nu, dépouillé, parsemé de flaques d’eau. Vers l’intérieur des terres, ce sont des plans successifs, de grandes ondulations de terrain uniformes, peu accidentées, séparées par des lacs ou des bas-fonds marécageux : tout est froid, immobile, désolé. Tandis que le calme régnait dans la belle prairie que j’ai décrite, un vent du nord furieux balayait le plateau du cap et nous empêchait de marcher. Nous avançâmes néanmoins et parvînmes jusqu’à l’extrémité. Jamais je n’oublierai la sombre grandeur du spectacle qui s’offrait à mes yeux. Devant nous s’étendait l’Océan-Glacial, dont les limites sont au pôle, s’agitant au-dessous d’une épaisse couche de nuages qui semblaient peser sur lui; à gauche, une pointe de terre longue et basse bordée d’écume; à droite, quelques îlots sans nom. Quand je m’avançais sur les bords du précipice qui termine le cap, je voyais la mer se briser au pied de l’escarpement à une profondeur de mille pieds au-dessous de moi. De cette hauteur, les vagues énormes venues en ligne droite du Groenland, du Spitzberg ou de la Nouvelle-Zemble ne formaient qu’un petit liséré d’écume, comme feraient les rides d’un petit lac poussées doucement vers le rivage par le souffle du vent.

Le sommet le plus élevé du Cap-Nord est, d’après nos observations, à 308 mètres au-dessus de la mer; il est surmonté d’un petit rocher sur lequel les voyageurs gravent leur nom. J’y lus avec respect celui de Parrot, célèbre par ses voyages dans les Alpes, l’Ararat et le Caucase. Même ce dernier rocher n’est pas dépourvu de toute végétation; de petites plaques circulaires de parmélies et d’umbilicaires noires comme la roche s’étaient attachées à elle, et une petite mousse microscopique (Orthotrichum floerkianum) se cachait dans les fentes. Sur le plateau, il y avait aussi quelques plantes souffreteuses, dépouillées par les vents, couchées sur le sol ou cherchant un abri derrière les plis du terrain qui pouvaient les protéger contre les rafales continuelles qui balaient le Cap-Nord.


III. — L’ILE JAN MAYEN.

Revenons à l’expédition de M. Berna pour visiter avec elle une île qui, presque toujours bloquée par les glaces et enveloppée de brumes, a été rarement abordée et à peine décrite. C’est l’île Jan Mayen. Située entre le Spitzberg et l’Islande, elle a été vue pour la