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les pierres pour s’abriter contre le froid et jouir pendant quelques mois de la lumière du soleil ; tout le reste de l’année, elles sont ensevelies sous le linceul de neige et de glace qui ne disparaît que sur quelques points privilégiés. En nous séparant, M. Berna et moi, nous découvrons deux cratères, l’un très petit, circulaire, situé presque au niveau de la mer, l’autre ayant au moins 150 mètres de profondeur sur 300 mètres de diamètre. Ses bords se composent de débris et de cendres, percés çà et là par des couches de lave. Évidemment ce cratère n’a pas émis de coulées, mais seulement lancé des pierres et de la cendre, puis il s’est effondré, et ce que nous voyons, c’est le résultat de cet effondrement. De ce point, la vue embrassait toute l’île : au nord-est, la blanche coupole du Beerenberg, qui commençait à se voiler de nuages ; au nord-ouest, l’île dans toute sa longueur et au-delà la pleine mer brillante à l’horizon sous la bande de brume sombre qui descendait sur elle, puis la côte se prolongeant au loin avec ses écueils, ses pointes, ses étranglemens, représentant ce qu’elle est en réalité, une longue coulée de lave ; nulle part, quelque loin que la vue pût s’étendre, une seule de ces glaces flottantes qui ont arrêté lord Dufferin, le prince Napoléon et tant d’autres voyageurs. Sur la côte sud-ouest, un long cordon littoral sépare la mer d’une lagune d’eau douce qui s’étend entre les dunes et les rochers de l’île. À l’extrémité de cette lagune, une presqu’île ; à nos pieds la baie gymnastique le petit cratère circulaire, les falaises le long de la mer, le grand glacier du sud, et au loin les promontoires orientaux de l’île, admirablement éclairés et contrastant avec les teintes sombres répandues sur toute la partie méridionale. Je pris quelques relèvemens à la boussole, Berna esquissa la vue générale, et cela fait nous redescendîmes en hâte, car le vent était glacial. Nous arrivâmes, en suivant nos propres traces, à la baie gymnastique, où un bon dîner répara nos forces épuisées. Quelques heures après, nous étions de retour à bord. »

Jan Mayen n’est pas le seul point sur le globe où le feu et la glace se soient pour ainsi dire combattus sur le même terrain. L’Islande est couverte de volcans éteints chargés de glaciers qui descendent jusqu’au bord de la mer. Quand ces volcans entrent en éruption après une longue période de tranquillité, les laves incandescentes, coulant sur la glace, la fondent rapidement, et donnent lieu à des inondations terribles, dont les Islandais ont conservé le souvenir ; mais, quand les éruptions ont cessé et que les laves se sont enfin refroidies, la glace reprend possession de son empire, de même qu’un homme fort et calme reprend avec le temps tous les avantages qu’un ennemi bouillant et impétueux lui a ravis dans un premier moment de surprise. Quelquefois même la lave est impuissante pour fondre la glace, et l’on cite non-seulement en Islande,