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serait engagée chez elle dans quelques embarras, ou au dehors dans quelque guerre, on aurait renversé tous les obstacles, et le gouvernement de ce pays, au lieu de dépendre de l’unanimité des voix, aurait appartenu à la majorité, différence essentielle, et qui, grâce à la manière dont les votes sont répartis, aurait rendu le roi absolu ; mais l’impatience de sa majesté, jointe aux mauvais conseils de ceux qui l’entouraient, fit repousser tout délai. On choisit le moment (l’avant-dernière diète) où la Russie était dans toute sa gloire pour user du pouvoir et des droits qu’on s’était donnés, et le premier usage qu’on en fit fut pour attaquer les dissidens[1]. Cette démarche alarma à bon droit la cour de Russie et celle de Prusse. Toutes deux firent entendre immédiatement des représentations, et à Varsovie le ministère, si on peut l’appeler ainsi, commit une seconde faute : au lieu de battre en retraite, il persista et obligea l’impératrice à employer la force.

« Le roi de Prusse aurait bien souhaité joindre aux troupes de Catherine deux régimens de hussards, mais elle ne voulut pas en entendre parler. La force changea bientôt la face des choses. La diète actuelle fut convoquée, et elle va défaire ou a déjà défait tout ce qui avait été fait. Elle s’est ouverte le 5 octobre, et voici quelle était alors la situation du royaume : par suite du peu de cas qui avait été fait des deux déclarations de l’impératrice, présentées par le prince Repnin, son ambassadeur, à la diète de 1766, déclarations dans lesquelles les plaintes des dissidens étaient reproduites avec demande de satisfaction, 20,000 Russes étaient entrés en Pologne, et Catherine avait annoncé qu’elle ferait droit aux griefs des mécontens, alors confédérés, au nombre de 60,000, sous les ordres du prince Radzivil. Cette ligue avait été suscitée par la jalousie de quelques grands seigneurs qui redoutaient les conséquences d’une innovation aussi considérable que de livrer la décision des affaires les plus essentielles de l’état à la pluralité au lieu de l’unanimité. Un grand nombre de Polonais se trouvèrent ainsi gagnés à la cause de Catherine, car, ennemis acharnés de la cour, ils se flattaient de renverser le roi. Leur ardeur ne leur donna pas le temps de réfléchir que la défense des dissidens était le but principal de la Russie. Leurs yeux ne tardèrent pas à s’ouvrir lorsqu’ils se virent obligés, dans toutes leurs protestations, de faire mention des dissidens et des membres de l’église grecque comme de persécutés, et de demander justice pour eux. En résumé, la Russie joua si habilement son rôle qu’elle força le prince Radzivil à présenter au roi et à la diète assemblée un projet dans lequel il proposait la délégation de toute autorité à quelques hommes chargés de négocier, et munis de pleins pouvoirs pour traiter avec l’ambassadeur de Russie et statuer sur tous les griefs, aussi bien ceux des dissidens que les autres. Une proposition si extraordinaire et le coup qu’elle portait à la liberté soulevèrent peu d’objections, par la très simple raison que les évêques de Kiev et de Cracovie, qui avaient pris la parole pour s’y opposer, avaient été enlevés tous deux dans la même nuit et conduits on ne sait où. Le lendemain, le projet fut lu de nouveau et tranquillement voté. La diète

  1. On appela d’abord ainsi les protestans réformés ; mais plus tard et à l’époque où écrit lord Malmesbury, ce nom comprit tous les non catholiques membres de l’église grecque, protestans et sectaires.