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d’une âme individuelle essentiellement distincte du corps? » Pour lui, il déclare que rien dans les résultats de la physiologie ne le conduit nécessairement à admettre une âme distincte, mais que l’ordre moral exige une telle hypothèse. Dans un autre écrit publié pour expliquer son discours et intitulé Science et Foi (Ueber Wissen und Glauhen), il distingue soigneusement ces deux domaines, et il dit : « Dans les choses de la foi, j’aime la foi simple et naïve du charbonnier; en matière scientifique, je me compte parmi ceux qui aiment à douter le plus possible. »

Cet appel à la foi du charbonnier provoqua une réponse vive et mordante d’un naturaliste distingué, élève d’Agassiz, M. Charles Vogt, l’un des membres du parti radical en Allemagne, siégeant à l’extrême gauche du parlement de Francfort, depuis exilé à Genève, où il est devenu professeur et membre du conseil d’état. Il raillait cette double conscience que le savant de Goettingue essayait de se procurer, l’une pour la science, l’autre pour la religion, et il qualifiait cet expédient de « tenue des livres en partie double. » Mais ce n’est pas seulement dans cette brochure accidentelle que Charles Vogt donna des gages au matérialisme; ce fut aussi dans des écrits plus scientifiques et plus étendus, dans ses Tableaux de la Vie animale (Bilder ans dem Thierleben) et dans ses Lettres physiologiques (Physiologische Briefe), et enfin dans un dernier morceau, plein d’esprit et de verve, qui vient de paraître il y a quelques semaines : Leçons sur l’Homme, sa place dans la création et dans l’histoire de la terre. M. Vogt s’est rendu surtout célèbre dans cette polémique par le commentaire qu’il a donné à la célèbre définition de Cabanis : « la pensée est une sécrétion du cerveau. » Vogt, se défiant de l’intelligence de son lecteur, a cru devoir renchérir sur cette brutale formule, et il nous apprend que « le cerveau sécrète la pensée, comme le foie sécrète la bile et les reins sécrètent l’urine, » proposition si manifestement fausse qu’un autre matérialiste, M. Büchner, a cru devoir la réfuter.

M. Büchner n’en est pas moins à son tour l’un des disciples les plus ardens de Moleschott et l’un des interprètes les plus décidés du nouveau matérialisme. Son livre intitulé Matière et Force (Kraft und Stoff) est de tous les écrits de cette école celui qui a eu le plus de succès; publié pour la première fois en 1856, il a eu en cinq ans sept éditions, et il vient d’être traduit dans notre langue par un ami et compatriote de l’auteur, qui, pour le dire en passant, aurait bien dû faire revoir sa traduction par quelqu’un qui sût le français. Quoi qu’il en soit, ce livre nerveux et concis, plein de faits, écrit avec rapidité et clarté, qualités toutes nouvelles dans un livre allemand, peut servir à résumer tous les autres, et contient en peu de pages