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« car, dit-il avec raison, l’urine et la bile sont des matières palpables, pondérables et visibles; ce sont en outre des matières excrémentielles que le corps a usées et qu’il rejette, tandis que la pensée n’est pas une matière que le cerveau produit et rejette, c’est l’action même du cerveau. L’action de la machine à vapeur ne doit pas être confondue avec la vapeur rejetée par la machine. » La pensée est la résultante de toutes les forces réunies dans le cerveau; cette résultante ne peut pas être vue, elle n’est, selon toute apparence, que l’effet de l’électricité nerveuse. « Il y a, dit Huschke, le même rapport entre la pensée et les vibrations électriques des filamens du cerveau qu’entre la couleur et les vibrations de l’éther. » C’est à Moleschott qu’il appartient de résumer profondément cette doctrine en ces mots : « La pensée est un mouvement de la matière. »

Telles sont les grandes lignes du système du docteur Büchner et les principales raisons du nouveau matérialisme allemand, il est assez inutile d’insister sur les derniers chapitres du livre Matière et Force, chapitres qui traitent des idées innées de l’immortalité de l’âme, de la différence de l’homme et de l’animal : ces chapitres sont tellement dénués d’aperçus nouveaux, les solutions et les idées sont tellement prévues par tous ceux qui ont quelque habitude de ces questions, que ce serait perdre notre temps que de nous y arrêter davantage. Tels qu’ils sont, ils achèvent et complètent l’exposition du système matérialiste le plus net, le plus franc et le plus lumineux qui ait paru en Europe depuis le fameux Système de la Nature. L’auteur ne peut prétendre assurément à aucune invention, à aucune originalité; mais il a rassemblé ce qui était épars, lié ce qui était incohérent, dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas, et cela dans un livre court, rapide, clair, bien composé. Il nous rend un vrai service en nous donnant un adversaire à combattre au lieu de ces fantômes insaisissables qui, flottant sans cesse entre le matérialisme et le spiritualisme, ne permettent de les atteindre en aucun endroit.


III.

Tout esprit philosophique, en lisant l’exposition précédente du système du docteur Büchner, aura sans doute été frappé d’une étrange lacune : c’est que l’auteur, qui explique tout par l’existence de la matière, a entièrement oublié de nous dire ce que c’est que la matière et ce qu’il entend par ce mot. Ce n’est pourtant pas là une question de peu d’importance, et elle a occupé pendant des siècles des hommes qui n’étaient ni des fous ni des enfans. Ne sait-on pas que, dans l’idée de ce que nous appelons corps et matière, il