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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/900

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entre deux élémens bien différens : l’un qui vient de nos sensations, et qui n’est autre chose que l’ensemble des diverses modifications de nos organes; l’autre qui vient du dehors, et est réellement distinct et indépendant de nos impressions? Or, lorsqu’on soutient que la matière est le principe des choses, on parle évidemment de la matière telle qu’elle est en soi, et non telle qu’elle nous apparaît; car, si l’analyse venait à démontrer que l’idée de la matière n’est composée que de nos sensations et ne contient rien d’extérieur, la matière disparaîtrait par cela même, n’étant plus qu’une modification de notre esprit, et le matérialisme se changerait en idéalisme. Il est donc de toute évidence que la première condition d’un système matérialiste est de faire le partage de ce qui vient de nous-mêmes et de ce qui vient du dehors dans la notion de corps ou de matière; mais ce partage est très difficile, comme le prouve l’histoire de la science. M. Büchner s’en est entièrement dispensé, et son système pèche dès lors par la base.

Essayons de faire ce qu’il n’a pas fait, montrons par l’analyse combien la notion de matière est obscure et imparfaite, combien peu elle se suffit à elle-même, combien elle s’évanouit et se disperse à l’examen. « C’est un je ne sais quoi, dit Fénelon, qui fond en mes mains dès que je le presse. »

Il faut rechercher d’abord ce qu’on entend vulgairement par un corps. Un corps est une masse solide, colorée, résistante, étendue, mobile, odorante, chaude ou froide. En un mot, c’est un objet qui frappe mes sens, et je suis tellement habitué à vivre au milieu de tels objets, à m’en servir, à en jouir, à les craindre, à les espérer, qu’ils me paraissent ce qu’il y a de plus réel au monde; je ris de ceux qui les mettent en doute, et si je veux me représenter par l’imagination mon propre esprit, je lui donne la forme d’un corps. Qu’y a-t-il de solide et de fidèle dans cette sorte de représentation de la matière? La philosophie, pour répondre à cette question, commence par distinguer l’apparence de la réalité. Cette distinction, les sciences les plus exactes et les plus positives nous l’ont rendue familière. En astronomie, tout repose sur la distinction des mouvemens réels et des mouvemens apparens. Si nous consultons les apparences, le soleil paraît se mouvoir d’orient en occident, entraînant avec lui les planètes. Dans la réalité, c’est la terre qui se meut et qui possède deux mouvemens que nous ne ressentons ni l’un ni l’autre, l’un de rotation sur elle-même, l’autre de translation autour du soleil. Il faut distinguer aussi dans les astres la grandeur apparente et la grandeur réelle, la situation apparente et la situation réelle. Pour avoir la hauteur vraie d’un astre dans l’espace, les astronomes sont obligés de tenir compte de la déviation