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trarier quelques projets utiles; mais œ qui est plus certain encore, c’est qu’en l’absence de tout autre organe autorisé de l’opinion publique, le pouvoir royal, désormais sans contre-poids et sans limites, conçut et exécuta diverses mesures qui lurent pour lui uni; source d’embarras bien autrement graves que ceux qu’il avait voulu éviter.

En résumé, le choix de Pontchartrain pour le contrôle général et plus tard pour la marine, dont il ne voulait pas parce qu’il n’y entendait rien, rapproché des nominations par survivance, met en lumière ce fait singulier, qu’au point de vue de l’intérêt général ces dernières furent préférables. Il y eut cependant des exceptions. Louvois étant mort et le marquis de Barbezieux, son fils, ayant été appelé à le remplacer, on put voir combien Louis XIV faisait bon marché de sa responsabilité. Ce Barbezieux, dont Saint-Simon a également tracé un vivant portrait, était doué des qualités les plus heureuses; mais il passait sa vie dans des orgies continuelles, invisible aux généraux et compromettant les plus grandes affaires par ses inexactitudes. Le roi le savait, lui en faisait souvent de vifs reproches, et ne le remplaçait pas ! Il fallut que la mort vint, après dix ans d’une longanimité funeste, le délivrer de ce ministre incorrigible. Alors, remarque Saint-Simon, ce fut un éclat de satisfaction qui surprit toute la cour, si habitué qu’on y fût aux scènes de ce genre quand disparaissait un ministre dont on était las. C’eût été le cas de lui désigner un successeur capable, expérimenté, ayant lui-même fait la guerre et vu les hommes à l’œuvre dans le conseil et sur le champ de bataille. Quelle fortune pour la France si Louis XIV, inspiré comme aux premiers temps de son règne, avait mis à la place de Barbezieux un Catinat, un Vauban ! Tels devaient être les vœux du duc de Bourgogne, de Fénelon, du duc de Beauvilliers. Il en fut par malheur tout autrement, et Chamillard, déjà contrôleur-général, eut en surcroît les affaires de la guerre : déplorable mesure qui aggrava la situation sous prétexte de la simplifier, et, quand vinrent les jours de désenchantement, causa le désespoir de celui-là même qui avait accepté un fardeau sous lequel il devait succomber ! Or on était engagé dans une lutte formidable où l’Europe entière était liguée contre Louis XIV, et tout en reconnaissant quelle grande idée il avait de son rôle et de la mission de la France, il faut bien convenir que sa conduite en de telles circonstances allait directement contre son but. Il y avait entre cette conduite et les premiers actes du règne la même différence qu’entre les sages mesures de Colbert et les expédions financiers de Pontchartrain.


PIERRE CLEMENT.