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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/982

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beaucoup du XIIIe au XVIIe siècle. On évaluait, du temps de saint Louis, la consommation d’un adulte à quatre setiers de blé, ce qui correspond à une moyenne générale de trois setiers. La même estimation, reproduite par Buddée sous François Ier, est encore admise sous Louis XIV. Seulement, vers 1520, on ne tirait du setier (120 kilos) que 72 kilos de pain mangeable, et le rendement était déjà beaucoup plus satisfaisant vers 1680. De nos jours, moins d’un setier et un tiers par tête (157 kilos) suffisent pour que chaque Parisien mange du pain blanc. La différence s’explique par l’imperfection des engins de la mouture dans les temps anciens. Le grain, concassé très grossièrement, laissait des gruaux volumineux, maculés de sons qu’on n’en savait pas détacher. On les considérait comme impurs, et ils étaient donnés aux animaux, à moins que les pauvres gens ne les dévorassent en cachette. Le cœur du blé seulement, l’amidon, était réduit en farine panifiable, et c’était précisément la partie la moins nutritive. Il en résultait qu’après avoir perdu la meilleure portion du grain, on mangeait beaucoup plus du pain qu’on faisait avec le reste. Il est à noter aussi que le pain prend une moindre place dans l’alimentation à mesure que le luxe de la table augmente.

Par un des effets de la législation qui va disparaître, le rôle du boulanger est réduit aujourd’hui à la confection et à la vente du pain. La farine lui est vendue par un grand négociant en blé, pour qui la meunerie n’est souvent qu’un accessoire. C’était le contraire autrefois. La déplorable condition faite au meunier lui interdisait le négoce des farines : il n’était qu’un artisan travaillant à façon. Le vrai marchand de farine était alors le boulanger, qui achetait les grains et les faisait moudre à sa guise : je ne trouve pas trace d’achats de farine toute faite. On comptait autour de la ville, sous Louis XIV, quatre-vingts moulins à vent et un assez bon nombre de moulins hydrauliques, montés probablement sur une assez large échelle. Les grains apportés à Paris pour y être négociés sur le marché étaient donc envoyés au moulin, puis rapportés à la boutique à l’état de boulange, c’est-à-dire en poudre où le son et la farine sont encore mélangés. Le boulanger opérait la séparation dans son atelier avec des tamis, travail long et fatigant, qui servait au moyen âge à désigner la profession. Il est vrai qu’alors le talmelier vendait plus de farine que de pain cuit. Les ménagères préféraient pétrir elles-mêmes et porter leur pâte à cuisson. C’était une occasion de sortie : on n’était pas fâché d’échanger les commérages du quartier dans la grande salle d’attente où l’on se réunissait, et les fours communs, que les maris appelaient les boulangeries babillardes, justifiaient sans doute leur nom.