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Dardel, ayant fabriqué quelque peu de pain blanc, est condamné à 1,000 livres d’amende. Un autre, nommé Hébert, en est pour 3,000 livres, avec perte de maîtrise, pour n’avoir pas garni sa boutique! En septembre 1740, le pain commun était monté à 4 sous 1/2 la livre, ce qui correspondrait, relativement à nos jours, à prés de 1 franc le kilogramme. « On a été obligé (c’est Barbier qui parle) de faire mettre des postes de soldats aux gardes dans les marchés pour empêcher que les boulangers ne fussent pillés, et les cuisinières se font escorter par quelques hommes pour aller chercher le pain. » On fut bientôt obligé de mettre les prisonniers à la demi-ration : ceux de Bicêtre se révoltèrent. On envoya la troupe, qui sabra et fit feu. « On dit, ajoute Barbier, qu’on en a pendu un. Il est triste de faire périr des hommes qui demandent du pain, mais cependant on est forcé de faire exemple. Un homme pendu en contient dix mille. » Ainsi pensait un avocat au parlement, un quasi philosophe sceptique et frondeur.

Pendant ce temps, une grande amélioration s’introduisait dans la mouture, non par le génie d’un inventeur, mais à la longue, par les tâtonnemens obscurs de l’atelier. Ce progrès a eu sur notre économie sociale une influence qui mérite d’être signalée. Lorsqu’on examine la structure du grain, on y découvre trois parties principales : d’abord le tégument ligneux qui donne naissance au son, et qui se compose de trois espèces de pellicules superposées et adhérentes; puis un réseau de petites cellules hexagonales, remplies d’une matière colorée, glutineuse, aromatique, très azotée, et qu’on nomme aujourd’hui le gluten. Ce réseau, en se durcissant comme pour former la coque du fruit, se casse en petits éclats, et offre une résistance à la pulvérisation, accrue beaucoup par la présence du germe, qui est de même nature que lui. Vient enfin l’amande, ou partie amylacée, facilement pulvérisable, séduisante par sa blancheur, et qu’on a cru longtemps la farine par excellence. — C’est seulement vers la fin du siècle que l’existence du gluten a été constatée par Beccaria. Soumis à l’analyse chimique, on l’a trouvé richement pourvu de certains principes nutritifs qui forment la base de la chair musculaire et du blanc d’œuf, principes qui se retrouvent dans plusieurs végétaux, mais nulle part au même degré que dans le blé-froment. Cette découverte a encore élevé la reine des céréales dans l’opinion des hommes, et le prix commercial du blé se règle aujourd’hui en proportion du gluten qu’il contient.

J’ai déjà dit que les moulins primitifs concassaient le blé grossièrement. Les petits morceaux de la coque glutineuse, ou gruaux (du mot barbare grutum), restaient adhérens aux sons. On passait au tamis les résidus ligneux, pour séparer les sons secs des sons gras ;