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était celle de la rue, et qu’elles ont ensuite nié leur propre affirmation ? À coup sûr, la compagnie a mentalement nié quelque chose ; mais ce qu’elle a nié, c’est uniquement l’affirmation risible contenue dans le cri qu’elle a entendu. Au lieu d’appartenir à un seul et même sujet, c’est-à-dire au rieur, l’affirmation et la négation sont venues l’une du distrait, l’autre du rieur.

Le second exemple cité par M. Dumont tourne également contre sa théorie, et la renverse au lieu de la soutenir. Un petit homme se baisse en passant sous une porte, et nous rions. « Nous l’avons vu faire un mouvement que font seulement les personnes qui sont de haute stature, et nous ne pouvons nous empêcher de penser tout d’abord que cet homme est grand ; mais en même temps notre attention se porte sur lui, et nous nous apercevons qu’il n’en est rien. Sa taille détruit le jugement que son geste nous avait suggéré. » Eh ! mon Dieu non ! Les choses sont autres, et beaucoup plus simples : avant, pendant et après son passage sous la porte, le petit homme a toujours été petit à nos yeux ; sa taille n’a pas eu à démentir un jugement que nous n’avons pas formé, parce que d’avance elle l’avait rendu impossible. Encore une fois, nous reconnaissons avoir nié une certaine affirmation ; mais cette affirmation n’était pas nôtre. Ce jugement ou plutôt cette espèce de duperie que l’on place au commencement du rire est une addition gratuite ; l’observation n’en retrouve aucune trace, et la théorie ne marche que mieux quand on l’en a débarrassée.

Aussitôt que l’intelligence a connu et jugé l’objet risible, l’âme rit. Ce rire lui est agréable ; c’est pour elle un plaisir, et tout plaisir est une modification de la sensibilité. Ce point n’est pas contesté. Cependant, sur les détails, on est encore assez loin de s’entendre avec soi-même et avec les autres. Les termes les plus clairs s’obscurcissent et changent tout à coup de signification. Après avoir établi que le fait intellectuel est le premier, après avoir affirmé qu’il consiste dans deux jugemens dont l’un détruit l’autre, on se dédit en soutenant que le contraste qui existe entre les deux rapports n’est pas connu, mais qu’il est senti, comme s’il était possible de sentir un rapport avant d’en avoir eu connaissance. Cette erreur en amène une autre. On veut que l’élément principal de toute théorie du rire soit l’étude du sentiment agréable dont le rire est accompagné, tandis que le point capital de toute analyse est évidemment le fait que supposent et d’où dérivent les phénomènes ultérieurs, et que ce fait ici est la conception du risible. On le reconnaît du reste implicitement, puisque l’on explique non point certes la conception par le sentiment, mais tout au contraire le sentiment par le double jugement qui le précède. À cet endroit, et malgré quelques exagérations et quelques méprises, la nouvelle théorie devient juste et