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gnons, qu’elle soit brève au point de ressembler plutôt à un programme qu’à une discussion, et que les faits qu’on y rencontre ne soient pas suffisamment rattachés à l’essence même de chaque art particulier. Ces pages si courtes ne nous apprennent pas pourquoi certains arts ont le privilège exclusif de traduire le risible ou d’exciter le rire. On s’en étonne moins quand on remarque en un endroit que l’auteur attribue la question du rire non à l’esthétique, mais à ce qu’il appelle la science de la sensibilité. Toutefois il est plus que difficile de lui concéder ce point. Si tous les phénomènes qui comprennent un élément sensible doivent être renvoyés à une science de la sensibilité, cette science absorbera non-seulement la théorie du rire, mais aussi celles de tous les sentimens que font naître en nous le beau, le sublime, le joli, le laid, et l’esthétique tout entière ira se fondre dans le chapitre de psychologie relatif à la faculté de sentir. Le jeune esthéticien serait assurément le premier à déplorer cette destruction d’une science, nouvelle à certains égards, mais qui a conquis son domaine propre, et qui ne permettra pas aisément que d’autres études s’en partagent les lambeaux. Sans renier la science de l’âme, qui est sa mère, et en reconnaissant qu’elle lui doit tout, l’esthétique entend vivre d’une vie séparée et personnelle, et elle prouverait au besoin qu’elle en a la force et le droit ; du moins se croit-elle en mesure de revendiquer comme siennes toutes les questions qui se lient à celle du rire, et voici en quels termes elle pourrait les réclamer. L’art est l’expression de la belle nature au moyen des formes qui l’interprètent le mieux. Le beau est donc le principal, sinon l’unique objet de l’art. Or le risible, le ridicule, le comique, sont incontestablement la négation partielle d’une des espèces de la beauté, que la beauté niée soit intellectuelle, ou morale, ou seulement physique. Comment l’art, qui se propose d’exprimer le beau, accueillerait-il ces négations de son objet propre ? Tel est le problème. Et quelle science le résoudra, si l’esthétique en est incapable ? Aussi le prend-elle à sa charge, et elle répond que le risible et le ridicule doivent entrer dans les œuvres d’art, parce qu’ils donnent du relief, de la saillie au beau lui-même et dans la proportion où ils lui rendent cet office ; de plus, elle s’applique à déterminer cette proportion, et enfin elle assigne à chaque art le degré de risible ou de ridicule qu’il est susceptible de rendre, en calculant l’étendue de ses forces expressives. Un rapide examen des différens arts à ces divers points de vue nous montrera que telle est la méthode applicable à ce problème, et que c’est à la science du beau de le résoudre.

Nous ne pensons pas qu’il se rencontre un seul architecte qui, avec les seules ressources de son art, entreprenne jamais d’expri-