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compagnon et mon guide en toute occasion : je lui dois la plupart des renseignemens précis que j’ai pu recueillir sur Yédo. Heusken périt assassiné un soir qu’il sortait d’Akabané, résidence du comte d’Eulembourg, ministre de Prusse; il a été inhumé auprès de l’interprète de sir Rutherford Alcock, l’infortuné Denkouchki, dans un parc qui dépend d’un temple et qui servait de cimetière. Aujourd’hui ce cimetière est abandonné : on dirait que les Japonais poursuivent de leur haine jusqu’après la mort les innocentes victimes de leurs préjugés nationaux. Le monument que M. Alcock a élevé à la mémoire de son fidèle serviteur porte une inscription rappelant que Denkouchki a été massacré par des assassins japonais. Quant à M. Harris, il n’a pas voulu perpétuer le souvenir d’un crime qui fit naître une si grande et si juste indignation; la pierre qui couvre les restes de Henry Heusken ne présente que les dates de sa naissance et de sa mort.

Outre les légations étrangères, le quartier qui s’étend au sud du château renferme le temple de Megouro, une des plus grandes feras de Yédo, le cimetière des grands-prêtres, le palais du puissant prince de Satzouma, qui passe pour le plus vaste et le plus riche de la capitale, enfin l’ancien palais et l’ancien mausolée des taïkouns. Ce magnifique tombeau se reconnaît de loin à une haute pagode qui s’élève au milieu d’un parc : il est composé de plusieurs temples et entouré d’arbres centenaires qui répandent l’ombre et la fraîcheur, et qui protègent d’un silence imposant la dernière demeure des anciens chefs militaires du Japon.

Au terme de cette course à travers la capitale japonaise, qui nous en a montré surtout les aspects extérieurs, on voudrait se recueillir et observer la vie morale des habitans, rapprocher aussi quelques données sur le chiffre de la population et les divers groupes qui la forment. C’est un dernier côté de notre sujet, sur lequel il nous reste à interroger nos souvenirs et à résumer nos recherches.


III.

Il est impossible de fixer d’une manière précise le chiffre de la population de Yédo, le gouvernement japonais n’ayant pu y établir aucun cens régulier. On connaît exactement le nombre des bourgeois, des marchands et des artisans, lequel montait en 1858 à 572,848; mais la bourgeoisie, comparée à la noblesse et au clergé, n’a même, au point de vue numérique, qu’une importance secondaire. Yédo est avant tout une ville de fonctionnaires, d’officiers et de prêtres : l’étendue des terrains occupés par les habitations des