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en quelques mois plus qu’elles n’avaient fait sous terre en dix-huit siècles, il ne resterait plus maintenant pierre sur pierre, si le terrible voisin ne les eût enfouies comme des trésors, pour nous les garder. Ce fut donc une grande fortune pour Pompéi d’être ensevelie sous la cendre, mais c’en fut une plus grande encore d’y rester seize cent soixante-neuf ans. On frémit quand on songe à ce que seraient devenues ces pauvres ruines, si elles avaient eu à subir les outrages des mille invasions qui, depuis le règne de Titus jusqu’à celui de Charles III, vinrent s’arracher l’une à l’autre le malheureux pays de Naples.

À la fin du xvie siècle, sous les vice-rois espagnols, le comte de Sarno, nommé Muzio Tuttavilla, eut l’idée de faire creuser un canal qui conduisît l’eau du Sarno jusqu’à Torre-Annunziata. L’architecte Fontana, chargé du travail, s’en acquitta fort heureusement : le conduit traversa Pompéi d’un bout à l’autre, entrant par la porte du Sarno, glissant devant l’amphithéâtre, courant droit au temple d’Isis, où il apparaît encore par un soupirail, et de là tournant par le bâtiment d’Eumachia, le forum et le temple de Vénus, vers la rue des Tombeaux, par laquelle il se frayait une issue. Qu’on se figure le danger que courut la ville enfouie pendant l’exécution de ce terrible ouvrage. À chaque pas, les ouvriers rencontrèrent les substructions de vieilles bâtisses ; ils traversèrent des temples, des portiques, des maisons, deux plaques de marbre, avec des inscriptions dont l’une désignait la patronne païenne de l’endroit, la Vénus physique. Je lis même dans un passage de Giuseppe Macrino qu’une ancienne rue déblayée servit de lit au canal. Nul cependant ne s’avisa que tous ces indices si évidens dénonçassent une ville souterraine. Peut-être faut-il se féliciter de cette incroyable insouciance, car la colonie antique eût été, selon toute apparence, pillée à fond, vendue en détail, abattue et dispersée en peu de temps, si, par malheur, elle avait été reconnue. L’architecte Fontana n’y vit que des pierres : il a bien mérité de son pays.

On se doutait toutefois, même alors, qu’une ville ancienne, engloutie par une catastrophe connue, avait dû s’élever non loin de là. Certains monumens, qui n’étaient qu’à moitié enterrés, en affirmaient l’existence : l’amphithéâtre, par exemple, ou du moins les gradins supérieurs formaient comme un cirque au-dessus du sol. Le peuple même, les paysans de l’endroit, appelaient cet endroit d’un nom quasi latin, la Civita qui dénotait certaines traditions confuses. Enfin le savant Luc Holstenius, de Hambourg, ayant visité Naples en 1637, avait déclaré dès lors, sans hésitation, que cette civita devait être Pompéi. « C’est, dit-il, une chose certaine. » Mais en dépit de tout on ne s’inquiéta point de cette précieuse découverte. On ne pratiqua des fouilles que par hasard, en creusant