Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/308

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la lettre de Néron, sortit du sénat. Sa mort, qu’on ne relit jamais dans Tacite sans une émotion nouvelle, est une des plus belles de l’antiquité. Cette dernière promenade dans ses jardins avec ces hommes et ces nobles dames qui s’empressent autour d’un proscrit aimé, cet entretien solitaire avec un philosophe sur l’immortalité de l’âme, sa prière aux assistans de se retirer pour ne pas partager son sort, ses supplications à sa femme qui veut mourir avec lui et qu’il conjure de se conserver pour leur fille, sa joie en apprenant que son gendre n’est pas condamné avec lui, les mâles et paternelles paroles qu’il adresse au jeune questeur lui-même chargé de surveiller sa mort, l’incomparable beauté de son exclamation suprême quand, regardant couler le sang de ses bras, il s’écrie : « Faisons cette libation à Jupiter Libérateur ! » tant de grandeur simple dans la mort comme dans la vie laisse à peine comprendre comment il s’est rencontré un écrivain honnête pour décréditer cet homme magnanime, qui, après avoir montré toujours une fermeté bienséante et discrète, a porté sa simplicité et sa douceur jusque dans l’appareil usité d’un trépas stoïcien.

On se figure aisément quelle a été l’influence de Thraséas sur Perse. Une familiarité intime de dix ans avec un si grand caractère a dû élever le cœur du poète, ou du moins le retenir sur les hauteurs où l’avait déjà placé la fière doctrine de Cornutus. Il n’est pas souvent donné à un jeune homme généreux, épris d’études morales, de voir à ses côtés, dans sa famille, le modèle des vertus recommandées par la philosophie. Et combien ne doit-on pas s’attacher à une doctrine sublime quand on peut s’entretenir tous les jours avec l’homme qui dans sa vie en représente les principes ! Je sais bien que la sombre ardeur de Perse, sa poétique raideur, ne ressemblent pas à la tranquille et naturelle intrépidité de Thraséas; mais l’un était un jeune homme enivré de fortes maximes, un solitaire échauffé par l’étude, l’autre un homme mûri par l’expérience, mêlé aux affaires et sachant se plier aux nécessités de la vie et de la politique. Pour moi, quand je lis certains beaux vers de Perse, je me figure volontiers qu’ils ont été inspirés par la vue de Thraséas. Qu’on nous laisse le plaisir de croire que le poète pense à lui lorsqu’il s’écrie : « Puissant maître des dieux, pour punir les tyrans, montre-leur la vertu, et qu’ils sèchent de regret de l’avoir abandonnée. »

Virtutem videant intabescantque relicta.

Vers admirable d’énergique concision, où l’on croit voir Néron en présence de Thraséas. Quoi qu’il en soit de ces conjectures qu’on pourrait multiplier, les vers de Perse prennent un intérêt nouveau quand on songe qu’ils ont été écrits sous les yeux de ce touchant