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condamné que ses exemples étaient contagieux et que presque personne n’avait la force de résister à l’attrait de cette éloquence nouvelle. Nous savons d’ailleurs que Sénèque était sévèrement jugé par les philosophes et les mécontens politiques, et plus d’une fois dans ses ouvrages il s’est défendu à mots couverts, sentant le besoin de faire son apologie et de répondre aux murmures de l’opinion stoïcienne.

Parmi ces esprits d’élite et ces nobles caractères qui entouraient Perse, il faut enfin nommer le plus grand de tous, Thraséas, qui avait pour le jeune poète, son proche parent, une amitié toute particulière. Perse a vécu dix ans dans la familiarité de ce grand homme, et l’accompagnait partout, même dans ses voyages. Tandis que Cornutus a été le théoricien et pour ainsi dire le docteur de cette illustre compagnie, Thraséas en a été le politique militant. Si Thraséas n’était pas si connu, si son nom seul ne parlait pas assez haut, on serait en peine de trouver des paroles qui répondissent à l’admiration qu’inspire ce personnage, dont on a essayé, dans ces dernières années, de rabaisser le caractère en un savant ouvrage que nous épargnons en ne le désignant pas, comme s’il pouvait importer à quelqu’un d’avilir celui à qui Tacite a donné cette louange qu’il était la vertu même! Pour moi, je préfère Thraséas à Caton, qu’il avait pris pour modèle, et je le considère comme le plus bel exemplaire du stoïcisme raisonnable. Je ne sais ce qu’on peut reprocher à ce héros sans jactance, aussi doux que ferme, qui craignait, disait-il lui-même, de trop haïr le vice de peur de haïr les hommes, qui garda une bonne grâce tranquille et de la mansuétude dans des luttes où sa tête était en jeu, qui, sans jamais se soumettre à rien qui pût être réprouvé par sa conscience, n’exposa jamais non plus inutilement sa vie, la ménageant pour le bien public, et, sans faire au pouvoir une opposition jalouse ou tracassière, ni rechercher, comme les autres stoïciens, la popularité de l’impertinence, sut repousser au sénat toutes les mesures injustes, cruelles ou malséantes par son vote ou par son silence, car telle était l’estime qu’il inspirait que tout l’empire tenait les yeux fixés sur lui, qu’on recueillait non-seulement ses paroles, mais, si l’on ose dire, son silence, et que les provinces lointaines s’occupaient de ce que Thraséas n’avait pas fait. Néron lui-même était désarmé par ce paisible courage et rendait hommage à l’intégrité de cet homme, dont il aurait voulu, disait-il, être l’ami, et qu’il respecta jusqu’au moment où, fou de terreur après le meurtre de sa mère Agrippine, il ne put plus supporter le regard de cette conscience incorruptible, ni l’importune vertu de ce sénateur qui, seul, ne voulut pas s’associer par sa présence à l’apologie du parricide, et, pendant la lecture de