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communes. Le plus pur esprit de la philosophie antique s’est concentré dans ces denses maximes qu’il faut relire plus d’une fois et méditer, si on en veut recueillir toute la force. On sent aussi que le poète les a tirées du plus profond de son cœur, qu’elles font partie de lui-même. Un certain accent nouveau, la hardiesse des expressions, une brièveté cherchée, laissent voir qu’il s’efforce de faire tenir toute son âme dans cette profession de foi morale et religieuse. A beaucoup de ces vers, il ne manque que d’être plus lucides, plus accessibles, pour devenir populaires et pour être cités parmi les plus beaux de l’antiquité; mais l’obscurité n’est nulle part plus supportable que dans un pareil sujet : ce style d’oracle vous saisit dans cette religieuse matière. Ce sont les ténèbres d’un bois sacré. Ce que Sénèque disait de l’homme de bien, on peut le dire ici de Perse et de sa conviction sincère : « Il y a un dieu en lui, quel dieu? je l’ignore, mais il y a un dieu. »

Quis deus, incertum est, habitat deus.

Quant aux opinions purement morales de Perse, il serait superflu de les exposer en détail; ce sont les principes mêmes du stoïcisme que tout le monde connaît. Le disciple de Cornutus fait la guerre aux passions, à l’avarice, à la mollesse, à l’amour, à l’ambition. Sa pensée maîtresse est qu’il faut acquérir au plus tôt la liberté de l’âme, libertate opus est. Les idées en elles-mêmes n’offrent rien de bien rare et se retrouvent dans tous les livres stoïciens; mais une certaine conviction hautaine anime ces vers et les lance avec raideur contre les vices du jour. On croit y voir les mouvemens saccadés de l’impatience que le siècle importune, une sourde colère qui se contient tout en se montrant, et qui frémit d’autant plus qu’elle n’a pas le droit de tout dire. De là tant de traits courts ou tronqués, des allusions lointaines et des épigrammes contre les puissans, contre les princes, et, selon toute apparence, contre la jeunesse folle et débauchée de Néron. Le mécontentement politique respire partout dans ces sentences doctrinales. Ne croyez pas que ces vers ne soient que d’innocentes maximes détachées d’un cahier de philosophie; ce sont des protestations ardentes sous la forme de vérités générales, mais dont la malignité publique savait l’adresse. À cette époque, on aimait à prodiguer le stoïcisme, comme en d’autres temps on a fait abus de la Bible. Les vérités philosophiques ou religieuses ont été souvent des mots de ralliement et le langage convenu du mépris pour tout ce qui est à la mode, en faveur, au pouvoir. Un certain accent de tristesse, l’affectation même de l’obscurité, le mystère d’un langage incomplet, tout cela donnait à penser qu’on