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plètement miss Wodehouse, qui me disait encore tout à l’heure d’un air avisé : « Je la crois sincère,… sincère et vaillante ;… mais les traversées sont bien longues, et trois mois de tête-à-tête sur le même bâtiment… »

Irais-je encore, sur la foi de ces paroles menaçantes, mettre en doute la constance de Nettie ? Ce serait une singulière ingratitude après la joyeuse surprise qu’elle vient de me faire.

Surprise ?… Allons donc ! est-ce que jamais j’ai douté d’elle ?


….. Je revenais ce soir à Carlingford par un froid piquant, après une tournée de plusieurs milles. Il y a dans ces brises d’hiver, quand on les traverse au grand trot d’un cheval rapide, quelque chose qui retrempe le métal dont nous sommes faits. On se sent égayé, enhardi, poussé à toute sorte d’aventures, enclin à toute sorte de témérités. En passant devant Saint-Roque, une idée folle m’était venue : celle d’y pénétrer à l’improviste et d’enlever Nettie. Ramener à Carlingford cette proie, quel beau triomphe et quel texte à commérages !… Il fallut naturellement rabattre de ces belles visées en rentrant chez moi, où je trouvai, comme d’ordinaire, un silence glacial, un salon mal éclairé, un souper à moitié froid, servi par une gouvernante assez revêche ; mais au moment où je m’attablais, je vis apparaître, comme pour conjurer ma mauvaise humeur, l’obligeante mistress Smith. Mon accueillant sourire sembla l’embarrasser. On eût dit qu’elle se sentait dans une fausse position, et que la gaîté peinte sur mon visage n’était pas tout à fait d’accord avec les nouvelles dont elle allait me régaler.

Ces nouvelles en effet me parurent assez étranges. Nettie, en rentrant ce soir-là même au cottage, venait de donner congé à mistress Smith pour la huitaine suivante, et de déclarer qu’ils partaient tous pour l’Australie le 24 du mois, c’est-à-dire la veille de Noël.

« Impossible ! m’écriai-je dans une véritable stupéfaction…

— C’est ce que je me disais, reprit mistress Smith ; mais rien n’est impossible de ce que miss a chaussé dans sa cervelle… Mon mari d’ailleurs l’avait bien prévu, et les visites continuelles du gentleman étranger…

— Quoi ?… Voyons !… que voulez-vous dire ?… Pas de bavardages, la vérité toute simple…

— Dame ! monsieur, ce n’est pas ma faute… Ce n’est pas non plus mon affaire ; mais vous êtes si bon, et miss est si bonne… Comme je le disais à Smith, j’ai voulu venir moi-même pour que vous n’apprissiez pas tout cela par la voix publique… sans explication, comme cela, tout d’un coup… car enfin…