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siré, sollicité ce départ, maintenant que je l’accorde, maintenant que je le hâte, elle m’accuse d’oppression et de tyrannie ; mais de même que j’obéis à mon devoir, il faudra bien qu’elle m’obéisse… Je veux qu’elle parte, elle partira ! »

La contagion de cet énergique vouloir finit par me gagner, moi aussi. Au moment où elle se penchait résolument pour recommencer son odieuse besogne, je m’avançai vers elle et saisis ses deux mains de manière à lui prouver qu’elle avait un maître.

« Réglons d’abord une petite question…, lui dis-je. Oh ! tant que vous voudrez : vous ne m’échapperez pas !… Vous comptiez donc partir ainsi sans me donner signe de vie, sans me prévenir, sans une parole d’adieu ?… Et vous croyez que je le souffrirai ?… Par le ciel ! vous vous abusez étrangement.

— Docteur Edward, me répondit-elle à moitié tremblante de peur, à moitié d’irritation, vous n’avez aucune autorité sur moi… Nous sommes deux, entendez-vous ?… Je ne serais certainement pas partie sans prendre congé de vous ; mais autre chose sont les égards, autre chose est l’obéissance… Je n’ai pas à me mêler de vos affaires, ne vous mêlez pas des miennes ! »

L’argument en lui-même n’était pas mauvais ; mais le temps des argumens était passé. Je poussai dans un coin, avec une vigueur dont je ne me serais pas cru capable, l’énorme caisse qu’elle était en train de remplir, et j’en laissai retomber le couvercle avec un fracas formidable.

« Il n’est pas question d’autorité ni d’obéissance,… m’écriai-je ensuite. À coup sûr, Nettie, si vous eussiez été ma femme, vous ne m’auriez pas abandonné… Ce que vous faites aujourd’hui est presque aussi cruel… Si quelqu’un a obéi jusqu’ici, c’est moi, ce me semble… Et pour cette docilité, au fond, voyez-vous, je sens que vous me méprisez… »

Cette pensée venait en effet d’éclater dans mon cerveau comme un jet de lumière.

« C’est là une injustice, repris-je ; ne vous imaginez pas que je la supporterai plus longtemps. Vous ne partirez pas, cela ne doit pas être… Merci de vos adieux, je n’en veux pas… Ce que vous appelez « votre affaire » devient la mienne, et, si vous partez, je partirai… Ah ! j’oubliais… On parle de quelqu’un, d’un Australien,… qui ose prétendre ;… mais je ne crois pas,… non, je vous assure, je ne le crois pas… Mon Dieu, Nettie, cessons ce jeu qui nous tue !… Et, plutôt que de nous séparer, prenons, s’il le faut, le monde entier sur nos épaules !… »

Il y eut un moment de silence, car Nettie, fortement émue, n’osait se fier à sa voix pour me répondre. Pendant qu’elle se taisait