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l’approvisionnement forcé était pour les boulangers une spéculation fructueuse, « parce que les farines achetées à pas prix devaient être employées en temps de cherté ; » mais nous venons de voir que chaque année une somme de 3 francs par quintal s’ajoute au prix de la marchandise. S’il se passait huit ou neuf ans sans qu’il devînt nécessaire de mettre la farine en consommation, son prix, doublé par la puissance de l’intérêt composé, dépasserait le cours de la halle, même en temps de disette.

Au point de vue de la sécurité publique, l’approvisionnement de trois mois pourrait avoir sa raison d’être dans un pays où les importations seraient défendues ou impossibles. Avec la liberté du commerce, c’est plutôt un danger qu’une garantie. Quel négociant ne tremblerait pas en risquant sa fortune sur des achats de grains à l’étranger, s’il savait qu’il existât à l’intérieur d’énormes provisions pouvant être jetées sur la place du jour au lendemain, selon le bon plaisir des autorités municipales ? L’approvisionnement de trois mois pour Paris et les 161 autres villes réglementées devait faire entrer dans les magasins publics 3 millions d’hectolitres de blé. Le déficit de 1861 exigea une importation de 17 millions d’hectolitres. Le commerce récemment affranchi conjura le péril. Si par malheur l’approvisionnement de trois mois avait pu être complété partout comme à Paris, le commerce aurait hésité, et nous aurions eu la famine.

On a une idée suffisante, par tout ce qui précède, du principe et du mécanisme de la compensation. Il y a quelques mots à dire encore sur le rôle financier de la caisse de la boulangerie. Instituée avec une dotation de 20 millions de francs, autorisée à emprunter sous la caution de la ville de Paris, disposant d’un fonds de roulement renouvelé chaque jour par le mouvement des affaires qu’elle centralise, cette caisse est devenue non-seulement une agence pour le nivellement des prix, mais une espèce de banque spéciale faisant des avances sur bonnes garanties aux deux industries dont elle est le trait d’union. Son existence peut être divisée en deux périodes. La première, de 1853 à 1856, comprend, les années pendant lesquelles, le pain étant vendu au-dessous de son prix réel, la caisse a dû payer au boulanger l’appoint nécessaire pour maintenir le niveau convenu. La seconde période, pendant laquelle on a pu vendre le pain un peu plus qu’il ne valait pour recouvrer les avances faites, s’étend de 1857 jusqu’en ces derniers jours, où l’institution vient d’être transformée. Dans la pensée créatrice du système, le prix du pain à Paris ne devait jamais dépasser 40 centimes le kilogramme. On fut forcé, à partir de septembre 1854, d’élever à 50 centimes la limite de la compensation, et même de distribuer des cartes de dif-