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de rage ; William se bat avec l’assassin de son père et l’étend mort à ses pieds, puis il se tue lui-même avec Maria. Lorsque Douglas arrive, il ne voit plus que des cadavres : tous les acteurs de ce sanglant imbroglio ont disparu. Il reste seulement une vieille folle, témoin jadis de l’assassinat d’Edouard, et chargée d’expliquer au milieu de ses divagations le lien qui unit le crime du passé aux sauvages fureurs du présent.

Sur cette trame noire et embrouillée, Henri Heine a beau jeter toutes les couleurs de sa poésie; il ne réussit point à sauver un système faux ; le drame fataliste était condamné à mourir. Le Vingt-quatre Février, de Zacharias Werner, était plus nettement conçu, plus dramatiquement enchaîné; William Ratcliff est plus poétique, plus idéal. Ce sont pourtant des œuvres de même famille, et le fatalisme de l’amour comme celui du crime révèle le profond chaos que traversait alors la scène allemande. La première édition de William Ratcliff contenait une dédicace en vers où l’auteur s’adresse en ces termes à son ami Rodolphe Christiani : « D’une main puissante j’ai forcé les portes de fer du sombre royaume des esprits, et là j’ai brisé les sept sceaux mystérieux du livre rouge de l’amour; ce que j’ai vu dans les pages éternelles, je le retrace dans le miroir de ce poème. Mon nom et moi, nous mourrons; mais ce poème vivra éternellement. » L’auteur se trompe : il n’y a ici aucune révélation du monde supérieur, aucune doctrine assurée de vivre à jamais; il n’y a que les confessions poétiquement incohérentes d’une âme en proie au mal d’amour. Il caractérisait son œuvre avec plus de vérité lorsque, dans une seconde dédicace à Frédéric Merckel, il s’écriait trois ans plus tard : « J’ai cherché le suave amour, et j’ai trouvé la haine amère; j’ai soupiré, j’ai maudit, j’ai saigné par mille blessures. Puis j’ai frayé nuit et jour, en tout bien tout honneur, avec la canaille humaine. Ces diverses études terminées, j’ai paisiblement écrit William Ratcliff. » Souffrance, fureur, ironie froidement cruelle, voilà les accens nouveaux que Henri Heine faisait retentir au milieu du fatras des drames fatalistes et des fausses imitations shakspeariennes.

De ces deux pièces, la première seulement subit l’épreuve de la scène. Elle fut représentée sur le théâtre national de Brunswick le 20 août 1823, et vertement sifflée. Les amis du poète racontent qu’une erreur de nom fut la principale cause de cet échec. Un officier de la garnison, qui vit encore aujourd’hui, s’imagina qu’Almansor était l’œuvre d’un certain usurier israélite fort odieux, et commanda si bien la manœuvre des sifflets qu’il fut impossible d’entendre la pièce jusqu’au bout; elle disparut de l’affiche pour toujours. Il faut croire pourtant que des raisons plus sérieuses expliquent la chute d’Almansor, puisque aucun théâtre ne voulut recommencer