Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/535

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Leur pensée n’a réussi qu’à s’exprimer très imparfaitement; mais peut-être était-elle plus large, plus équitable que celle des électeurs de la capitale. Pourquoi ne pas l’avouer en effet? une seule chose est venue troubler l’heureux augure que tous ceux qui espèrent bien de la liberté aimeraient à tirer des élections parisiennes : c’est le regrettable esprit d’exclusion qui s’est fait voir dans plusieurs incidens de la lutte, et dont le résultat définitif a gardé l’empreinte. Hors une exception (il est vrai qu’elle est brillante), tous les choix faits par Paris appartiennent à une seule fraction de l’opinion libérale, celle qui affectionne tout particulièrement, le nom de démocratique, et dans le sein de cette fraction même, combien les juges se sont montrés difficiles! La couleur a été impitoyable pour la nuance. Il ne suffisait pas d’être de la religion, si l’on n’appartenait pas à la plus stricte observance. Ni de vieux services ni de jeunes talens n’ont pu trouver grâce devant un conseil de guerre très étroit, donnant le mot d’ordre à une armée très disciplinée.

Tout autre a été le spectacle offert au même instant dans plusieurs départemens. Là au contraire, si l’opposition a réussi soit à remporter, soit à disputer la victoire, elle a dû ce succès absolu ou relatif à la concorde qui s’est établie entre des amis de la liberté élevés à diverses écoles, mais oubliant, dans un intérêt commun et supérieur, soit leurs dissentimens passés, soit les points de divergence qui les séparent encore. C’est à un acte de conciliation patriotique de ce genre qu’ont été dues à Marseille les élections de MM. Marie et Berryer, dont le rapprochement seul est éloquent, à Nantes celle de M. Lanjuinais. M. Ancel au Havre, M. Plichon dans le Nord, n’ont pu triompher aussi qu’à ces conditions. Ce sont également les sympathies de tous les amis de la liberté sans distinction qui ont accompagné M. Casimir Perier à Grenoble dans les nobles incidens d’une défaite plus glorieuse que beaucoup de victoires.

Ainsi, tandis que Paris s’abandonnait à un sentiment de puritanisme jaloux, le mouvement libéral dans les départemens cherchait au contraire à grossir son courant, encore bien peu rapide, par le concours de toutes les opinions indépendantes. Tandis qu’à Paris on fermait la porte à tout libéralisme qui n’avait pas au moins quinze ans d’existence et ne se rattachait pas à un millésime fameux, en province elle restait ouverte même au plus récent, au plus tard venu, à celui qui avait attendu pour se réveiller la démonstration complète des inconvéniens du pouvoir sans contrôle. Nous accusons en général assez volontiers la province de se complaire dans un esprit étroit et suranné, de recevoir lentement une impression et de s’y renfermer obstinément quand elle l’a reçue. Nous lui reprochons