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rien ici à la vraisemblance des choses, et qu’elle ne ferait guère qu’en appesantir les formes, au détriment de l’unité. Sans doute, parmi les paysagistes de profession qui de nos jours travaillent avec tant de succès à transporter sur la toile la nature inanimée, plusieurs ont étudié plus obstinément leur modèle et en ont plus savamment reproduit les traits partiels. Ont-ils toujours réussi mieux que Charlet à en faire pressentir l’esprit, à en déterminer la physionomie générale ? Dans tous les cas, quel rival trouverait-on à opposer au maître parmi ceux qui se sont servis du crayon lithographique. Si remarquables en ce genre que soient certains travaux de Bonington; et de Decamps, ils diffèrent trop par le caractère des paysages de Charlet, pour ne pas laisser à ceux-ci leur valeur tout entière, sans compter d’ailleurs le mérite de la priorité.

N’est-ce pas aussi à Charlet que revient l’honneur d’avoir osé le premier choisir des sujets dont les enfans sont les seuls héros, et d’avoir su nous intéresser à des scènes aussi humbles en elles-mêmes. On n’objectera pas, je suppose, ces guirlandes de petits amours ou de génies que Boucher et ses pareils avaient coutume, au XVIIIe siècle, d’enrouler autour d’un plafond ou sur le champ d’un dessus de porte, ni même les figures enfantines, nullement mythologiques d’ailleurs auxquelles Greuze et surtout Chardin ont donné un rôle charmant, mais accessoire, dans plusieurs de leurs tableaux. Sous le crayon de Charlet, les enfans ont plus que ce rôle épisodique, mieux qu’un intérêt de surface ou qu’une grâce de convention. Soit que le dessinateur les représente au moment des jeux ou aux heures si lentes de la classe, soit qu’il retrace leurs élans d’indocilité ou leurs ruses, leurs amitiés ou leurs querelles, partout l’expression est aussi complète que la donnée même est piquante. Quelque chose d’imprévu et de profondément vrai tout ensemble, un mélange d’invention spirituelle et d’observation ingénue, voilà ce qui donne un charme exquis à ces petites scènes où la naïveté courait le risque d’aboutir si facilement à la niaiserie, l’humilité des éléments à l’indigence de l’aspect, et que, peut-être à cause de cela même, aucun artiste n’avait abordées. Et cependant, à en juger sur les résultats de la tentative, quelles ressources n’offraient pas d’aussi modestes données au point de vue du fait pittoresque et des souvenirs ou des idées qu’il implique ? N’eût-il laissé que cette série de scènes enfantines, Charlet n’en demeurerait pas moins un des artistes les plus ingénieux, un des mieux doués de notre temps ; mais lorsqu’on voit la même force de talent, la même sève circuler dans les autres parties de son œuvre et les vivifier une à une, lorsqu’on se rappelle tout ce que cet esprit a démêlé, tout ce que cette main a su définir, il faut saluer dans Charlet un véritable initiateur, le