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pas relever où l’on ne rencontrera dans l’expression que de la justesse et de la franchise, dans le dessin qu’une exactitude sans abus, dans les formes du style qu’une délicatesse sans minutie ! Encore une fois, louer la verve et l’imagination de Charlet, ce serait s’imposer la plus inutile des tâches et perdre son temps à découvrir ce qui, depuis plus de quarante ans, frappe les yeux de tout le monde. Nous aurons assez fait si nous réussissons à relever d’autres mérites peut-être moins généralement reconnus, et à indiquer sur quelques points, si l’on veut secondaires, les innovations que ce talent a introduites dans notre école et les bons exemples qu’il a donnés.

Ainsi, parmi les qualités qui caractérisent la manière et les travaux de Charlet, ne faut-il pas apprécier particulièrement l’intelligence avec laquelle le paysage est traité dans ces ouvrages et l’habileté de l’artiste à se conformer, en pareil cas, aux exemples de la nature aussi bien qu’aux strictes conditions du procédé lithographique? Nulle prétention à l’extrême intensité du ton, à la complication des plans et des lignes, à toute cette opulence d’emprunt que la lithographie devait étaler plus tard, et dont elle fait montre surtout aujourd’hui; rien non plus de ce sentiment exigu, de cette avarice dans le faire qui réduisent presque à l’apparence de dessins au trait les paysages lithographies par Bourgeois, par Bacler d’Albe et par quelques autres contemporains de Charlet. Dans la plupart des œuvres de celui-ci le paysage, il est vrai, n’est qu’un complément plus ou moins orné, une, sorte de cadre pour les figures auxquelles il donne un surcroît de relief et dont il assure la prédominance; mais souvent aussi le paysage a dans la composition une importance principale, témoin, entre autres, cette pièce charmante intitulée le Voilà, où quelques paysans, groupés au premier plan et hauts à peine d’un centimètre, suivent de leurs regards avides le passage d’autres personnages plus microscopiques encore et traversant, Napoléon en tête, une vaste plaine qui demain peut-être sera devenue un champ de bataille. Ailleurs ce sont des lisières de bois, le long desquelles se glisse quelque garde-chasse ou quelque rôdeur de mauvaise mine, des défilés dans les montagnes où serpente une troupe en marche, des campagnes à perte de vue où manœuvrent des corps d’armée. Tout cela, — terrains, arbres, rochers, — est indiqué avec une telle légèreté de crayon, avec une grâce si facile, qu’il semble qu’une imitation, plus littérale n’ajouterait